Exposition au Musée d’Orsay: En couleurs, la sculpture polychrome en France de 1850 à 1910
Exposition « En couleurs, la sculpture polychrome en France de 1850-1910 » – 12 juin au 9 septembre 2018 – Musée d’Orsay – Paris
Jusqu’au 9 septembre 2018, le musée d’Orsay interroge la sculpture et sa polychromie, dans une exposition haute en couleur. En effet, bien que cette discipline soit ancrée dans l’art depuis des millénaires, la présence et l’utilisation de la couleur sont perpétuellement remises en question. Ainsi, l’exposition nous propose de plonger au cœur du XIXe siècle, où la couleur s’immisce dans la création artistique et fait polémique, permettant, par la même occasion, de retracer une histoire de la polychromie en sculpture, grâce aux centaines d’œuvres rassemblées.
- Un retour vers le passé :
L’usage de la polychromie en sculpture peine à être reconnue au début du XIXe siècle. Il est encore marqué par les règles esthétiques de Winckelmann (1717-1768) qui prône la blancheur immaculée des marbres gréco-romains (dont la polychromie s’est évanouie au fur et à mesure des années d’enfouissement), ainsi que les diverses teintes des patines des bronzes. En outre, la polychromie reste exclue de l’horizon artistique sculptural, se limitant à la sculpture religieuse ou populaire. L’archéologie des années 1850 permet pourtant à la sculpture de reprendre un peu de couleurs.
Les découvertes archéologiques, diverses et nombreuses au début du XIXe siècle, bouleversent en effet la façon de penser la sculpture antique. Les relevés archéologiques mis en couleur, à l’instar de celui de Charles Garnier (Paris 1825-1898), du Temple de Jupiter panhellénien (d’Athéna) à Egine (Coupe longitudinale restaurée de 1852, à l’aquarelle sur un tracé à l’encre de Chine sur papier entoilé, conservé à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris), jouent alors un rôle essentiel.
Dans un premier temps, la polychromie réapparaît en sculpture de manière « naturelle » : différents marbres de couleur sont en effet assemblés, comme c’est le cas pour la statue d’Hélène d’Henri Lombard (1855-1929). L’artiste qui a collaboré avec le marbrier Jules Cantini (1826-1916) y associe avec talent marbre blanc de Carrare, marbre vert antique, marbre jaune de Sienne, albâtre, malachite, et métal émaillé. Dans un second temps, le marbre est directement peint afin de « donner vie » à la sculpture et de coller à une réalité archéologique : tel est le cas de la Tête de Tanagra de Jean-Léon Gérôme (Vesoul 1824- Paris 1904) tout droit inspirée des figurines tanagréennes découvertes au XIXe siècle dans les tombes de Tanagra.
- L’éclectisme d’un siècle :
L’Antiquité n’est pas l’unique période d’inspiration : l’art médiéval redécouvert par les nombreuses campagnes de restaurations des édifices religieux offre aussi un nouveau regard sur la polychromie. Ces différentes grandes campagnes de restaurations dès les années 1840-1850 menées par Viollet-le-Duc, telle celle de la Sainte-Chapelle (1837 et 1863), sont en effet décisives pour délivrer aux artistes un nouvel imaginaire. Henri Cros (Narbonne 1840-Sèvres 1907) en donne une vision idéalisée, mais colorée, comme en témoigne Le Prix du tournoi, réalisé en 1873.
Par la suite, dans les années 1870-1880, l’art de la Renaissance permet aux artistes d’expérimenter plus loin encore la polychromie en sculpture sur divers matériaux. Les artistes revisitent ainsi l’art du portrait, en lui donnant plus de réalisme et en lui insufflant une part de vie grâce à la couleur. Ils représentent à la fois les figures historiques de cette période avec une grande précision de restitution, comme le Braccio da Montone, seigneur italien du XVe siècle, en terre cuite peinte dorée, de Eugène Robert (Paris 1831- ? 1912), et à la fois les figures emblématiques du XIXe siècle. Ils transgressent les codes du genre afin de transmettre plus aisément la personnalité du modèle, comme en témoigne le Buste de Sarah Bernardt, exécuté par Jean-Léon Gérôme (Vesoul 1824- Paris 1904), en marbre peint, daté de 1894-1901.
Toutefois l’exposition souligne la limite de l’utilisation de la polychromie en sculpture, et notamment dans l’art du portrait : le buste représentant la même artiste, Sarah Bernardt, exécuté par Jean Désiré Ringel d’Illzach ( Illzach 1847- Strasbourg 1916) en 1895, (cire peinte et bois) provoque un sentiment de malaise que les critiques de l’époque imputent à la ressemblance avec « un mannequin de coiffure », ou à un mannequin de cire, tel qu’on peut le voir au musée de Madame Tussauds à Londres.
Le débat sur la polychromie en sculpture semble prendre fin sous le Second Empire, grâce à l’utilisation de la polychromie dite « naturelle » . Cette dernière est la première polychromie véritablement acceptée en sculpture. Son pionnier en est Charles Cordier (Cambrai 1827-Alger, Algérie 1905) devenu maître en la matière, comme le rappelle la Juive d’Alger dans laquelle il a harmonieusement assemblé bronze, bronze émaillé et partiellement doré, marbre, albâtre et albâtre partiellement doré.
En effet, la diversité et le luxe des matériaux utilisés pour obtenir cette polychromie séduisent et permettent l’essor d’une production difficilement définissable, la frontière entre sculpture et objet d’art restant floue.
La Nature se dévoilant à la Science, (en plâtre peint) réalisée par Louis Ernest Barrias (Paris 1841 -1905) est considérée comme la dernière production de la grande statuaire tournée vers l’art du passé.
- Incontournable :
A l’aube du XXe siècle, la petite statuaire prend l’ascendant sur la sculpture monumentale. Réalisée dans des matériaux tout aussi précieux, elle se développe notamment dans les années 1890. Ces petites pièces extrêmement décoratives se révèlent alors uniques, d’un grand réalisme, et surfant sur la vague orientaliste qui séduit tant l’époque. La Pêche, vase de 1897 exécuté par Henri Allouard (Paris 1844-1929) joue sur une diversité des matériaux pour donner à l’ensemble cette aspect décoratif (figure en onyx, ivoire peint, corail, or; le tout rapporté sur un vase japonais en bronze patiné). Louis-Ernest Barrias, quant à lui, signe la fin d’une époque résolument tournée vers l’art du passé. Il s’oriente vers une production orientaliste très en vogue et qui use de la polychromie. La Jeune fille de Bou-Saada, exécutée en 1890 en marbre, bronze partiellement doré et émaillé, en ivoire et en bois, exploite entièrement les possibilités de la polychromie en sculpture.
Toutefois, le matériau fard de cette fin de siècle, celui qui rend à la couleur sa place de choix, est la céramique. Prise comme matériau de choix dans l’œuvre de Jean Carriès (Lyon 1855-Paris 1894) lorsqu’il cherche à créer des figures légendaires, la céramique lui offre alors de nombreuses possibilités chromatiques et accroît l’effet fantasmagorique des formes de ces êtres étranges. (Animal fantastique, 1892).
Cet engouement pour la céramique touche également les artistes symbolistes, tel Paul Gauguin (Paris 1848-Hiva Oa, Atuona, Iles Marquises 1903). Pour lui la couleur est essentielle afin d’affirmer son rejet du traitement naturaliste dans l’art et d’inclure une touche de mystère, comme on peut le voir dans l’œuvre Oviri, de 1894, en grés partiellement émaillé.
Ainsi, grâce à la céramique, la couleur est inaltérable et pérenne. Un atout majeur auquel les artistes, tel que Jean Carriès (Lyon 1855-Paris 1894) avec sa Tête de faune, (de 1890-1891, en grés émaillé) ou les industriels de la fin du XIXe siècle, s’intéressent. Effectivement, des industriels comme Muller éditent dans les années 1890 des œuvres en grés avec la volonté de rendre plus accessible la sculpture décorative, à l’instar de l’œuvre contemporaine Narcisse, d’Alexandre Charpentier (Paris 1856-Neuilly-sur-Seine 1909), en grés émaillé, de 1896.
Cette accessibilité au plus grand nombre de la sculpture polychrome en céramique est surtout à associer au renouveau architectural insufflé par les deux Expositions universelles parisiennes de 1878 et de 1889. Le gré émaillé devient alors un matériau moderne conduisant la sculpture polychrome à devenir un élément décoratif indispensable de l’architecture. Sa production commerciale prolifère sur les façades et même dans les intérieurs, comme le montre l’Hippocampe, servant autrefois de balustre, en grés flammé, par Alexandre Bigot (Mer 1862- Paris 1927). Le panneau mural représentant La Musique, en terre cuite sculptée par André Jospeh Allar (Toulon 1845-1926) et émaillée par Jules Loebnitz (Paris 1836-1895) datant de 1889, s’insérait parfaitement dans un ensemble dans un cabinet de musique d’un hôtel particulier parisien.
Enfin, en cette fin de siècle, l’Art Nouveau n’échappe pas à cet emploi de la céramique émaillée, pour orner les intérieurs modernes, comme il est possible de le voir avec Les Flammes, manteau de cheminée, d’Emile Muller&Cie, datant de 1900.
La petite danseuse de Edgar Degas (bronze patiné, tutu en tulle, ruban de satin et socle en bois, musée d’0rsay, Paris) conclut cette exploration. Considérée comme résolument moderne par ses contemporains, et reconnue comme « seule tentative vraiment moderne » (Kerl)Joris Huysmans), cette œuvre semble avoir ouvert la voie à une sculpture qui se veut en couleur, sans excès et sans superflus. La polychromie devient alors un élément réfléchi de la sculpture et non plus seulement un élément de décoration lié à l’‘esthétisme de cette dernière. Face à la délicate œuvre de Degas, se trouve la Poupée de Hans Bellmer. Cette icône du Surréalisme en bois polychrome, offre au visiteur son corps sans aucune pudeur. Mise face à face, ces deux œuvres montrent l’évolution de la polychromie en sculpture, et permet ainsi de montrer la place qu’elle incarne dans la création d’une œuvre, ainsi que l’impact donné une fois exposé au public. Admiration ou dégoût, la polychromie vient se mettre au service de l’artiste apportant une nouvelle dimension à sa réflexion. Enfin, l’œuvre de Hans Bellmer nous laisse entrevoir les mutations de la sculpture contemporaine après le premier conflit mondial : Une nouvelle esthétique qui a absorbée la polychromie comme fondement de cet art prend forme.
Camille Noblet