Auguste Lemaire (actif ca.1851 - 1868) d’après un modèle de Léonard Morel-Ladeuil (1820-1888)

Vase-aiguière de « la Danse des Willis » et son plateau

Modèle créé entre 1851 et 1855 ; fonte réalisée avant 1862 par Auguste Lemaire
Bronze argenté fondu en haut relief et ciselé à froid
Portent à quatre endroits les initiales du fabricant « AL », sur la panse, sous le pied et sous le plateau
Portent les numéros « 2.N », « 2.E », « 2.D », « 2.B », « 2.H » sur les pièces d’assemblage
Quelques manques à la patine, usures sur le pourtour du plateau et restaurations structurelles (tige filetée)

H. 68 cm sur un plateau de 54 cm de diamètre

Provenance : Ancienne collection du médailleur André Giard ; par descendance.

Estimate : 10.000 / 15.000 €

Hammer Price :

N° de lot : 141

Related literature :- Catalogue officiel : exposition universelle de 1862 à Londres (London) : section française, Paris, impr. Impériale, 1862, p. 205.
- Rapports des délégués des ouvriers parisiens à l'Exposition de Londres en 1862 publiés par la commission ouvrière : à la commission impériale, Paris, M. Chabaud, MM. Wanschooten, Grandpierre d'Argent, 1862-1864, p. 616 et 636.
- Rapport de la commission impériale sur la section française de l'Exposition universelle de 1862 : suivi de documents statistiques et officiels et de la liste des exposants récompensés, Paris, impr. Claye, 1864, p. 212.
- Exposition universelle de 1867 à Paris : catalogue général (2e édition, revue et corrigée) publié par la commission impériale, Paris, E. Dentu, 1867, p. XIII.
-Lucien, Falize, « Morel-Ladeuil », in La Revue des arts décoratifs, Paris, [s.n.], 1888, p. 316-317 ;
-Victor Champier, « Les Artistes de l'industrie : Morel-Ladeuil, exposition de son œuvre au Musée des arts décoratifs », in La Revue des arts décoratifs, Paris, [s.n.], 1889, pp. 371-373 ;
- Léon Morel, L'Œuvre de Morel-Ladeuil sculpteur-ciseleur 1820-1888, Paris, A. Lahure,1904 ;
- Stéphane Faniel (dir.), Le XIXe siècle français : collection connaissance des arts, Paris, Hachette, 1957, p. 182 ;
- Bernard Metman, « La petite sculpture au XIXe siècle, les éditeurs » in Documents sur la sculpture française et Répertoire des fondeurs du XIXe siècle de la Société de l’histoire de l’art, Paris, Arts et Métiers, t. XXX, 1989 ;
-Yves Badetz, « Léonard Morel-Ladeuil, deux boucliers d’ornement », in La Revue du Musée d’Orsay, Paris, Réunion des musées nationaux, n° 29, 2009, Automne/Hiver, p. 79-81 ;
-Anne Dion-Tenenbaum, Orfèvrerie du XIXème siècle, La collection du musée du Louvre, Paris, Somogy édition d’art / Louvre édition, 2011, pp. 190-192 ;
- Catalogue Complet des Œuvres d'Orfèvrerie de Morel-Ladeuil de 1851 à 1888, Paris, [s.d.], p. 39 ;
- L’Art au dix-neuvième siècle III, 1858, p. 50.

Œuvres en rapport :
– Léonard Morel-Ladeuil, Plateau de la table « Les Songes », 1862, édition galvanique, métal argenté, Diam. 71,0 cm, Paris, musée d’Orsay, n°inv. OAO 2067.
-Léonard Morel-Ladeuil, Vase-aiguière de La « Danse des Willis » et son plateau, XIXème siècle, métal doré, signé « Morel Ladeuil », dim. 66 x 36 x 28 cm, Édimbourg, vente Bonhams du 22 février 2018, lot 472.
– Léonard Morel-Ladeuil, Vase-aiguière de La « Danse des Willis » et son plateau, XIXème siècle, métal doré et argenté, signé « Morel Ladeuil », H. 66 cm sur un plateau de 53 cm de diamètre, Londres, vente Sotheby’s « The Midas Touch » du 17 octobre 2018, lot 60.
– Léonard Morel-Ladeuil, Vase-aiguière de La « Danse des Willis » et son plateau, XIXème siècle, bronze doré, signé « Morel Ladeuil », H. 71 cm sur un plateau de 53,4 cm de diamètre, New-York, vente Christie’s du 10 septembre 1996, lot 17.

 

Cet extraordinaire ensemble d’orfèvrerie composé d’un vase-aiguière et son plateau en bronze argenté, est l’un des fleurons de l’orfèvrerie française et de l’industrie du bronze d’art du XIXème siècle. Son modèle a été conçu par le clermontois Léonard Morel-Ladeuil (1820-1888), l’un des meilleurs artistes de cette génération d’artistes sculpteurs-modeleurs qui ont trouvé dans cette typologie d’objets d’art le moyen de déployer leur talent.
Le vase-aiguière repose sur un plateau où une grenouille, une vipère et un lézard figurent au bord d’un lac de nénuphars. Du pied du vase surgissent les tiges et les feuillages de plantes aquatiques qui s’épanouissent ensuite sur la panse. Entourant cette panse, des femmes drapées et couronnées de fleurs exécutées admirablement en très haut relief et entrainées dans une ronde effrénée se reflètent au-dessus du plateau qu’elles surplombent. De cette ronde éternelle s’est échappée une danseuse accrochée à l’anse ornée de tiges de roseaux torsadées. Elle rejoint un bec finement ciselé en forme de nénuphars dont la surface est ornée du visage d’un dieu fluvial. L’anse est présidée par une chouette qui semble figée, prête à s’envoler ou, au contraire, venant de se poser. Souvent associée à la magie, elle est le symbole de la nuit et d’un présage de mort.

Extrait d’un ballet romantique à fort succès composé par Adolphe Adam (1803-1856) et intitulé Giselle ou les Willis, le sujet s’inspire d’une légende slave et illustre le thème traditionnel remontant au mythe d’Orphée et d’Eurydice de l’amour vainqueur de la mort. Une paysanne nommée Gisèle décède en apprenant que l’homme qu’elle aime est le noble fiancé d’une princesse. La reine des Willis, esprit des jeunes filles mortes vierges, décide alors de condamner le jeune homme à danser avec Giselle jusqu’à ce que mort s’ensuive. L’esprit de l’héroïne arrive toutefois à sauver son aimé en dansant avec lui. Représenté pour la première fois à Paris en 1841, le ballet suscite un véritable engouement au sein de la communauté littéraire et artistique française autour des années 1845. Le thème inspire même le domaine de l’orfèvrerie comme en témoigne l’esquisse d’un seau à rafraichir réalisée dans les années 1840 par Jules Pierre Michel Diéterle (1811-1889), et qui a servi de modèle à Henri Duponchel (1794-1868) et Jean-Valentin Morel (1794-1860).

Il se trouve que le sujet est totalement repris par l’inventeur du modèle de cette aiguière, Léonard Morel-Ladeuil. Il a intégré à l’âge de quatorze ans l’atelier de Jean-Valentin Morel et a eu l’occasion de côtoyer ces modèles de très près. Il poursuit ensuite son apprentissage auprès des sculpteurs et ciseleurs de renom Jean-Jacques Feuchère (1807-1852) et Antoine Vechte (1800-1868). S’il tente de vivre de son art, la révolution de 1848 à Paris et la commande directe pour Napoléon III d’un bouclier en argent longtemps exposé dans le cabinet de ce dernier aux Tuileries lui ferment paradoxalement les portes des maisons d’orfèvrerie. Faute de commandes importantes, il est obligé d’accepter les plus infimes besognes venant de bijoutiers ou même des maisons de « plastique ». Toutefois ses qualités dénigrées en France sont repérées par l’orfèvre anglais de Birmingham, George Richards Elkington (1801-1865) qui souhaite donner une impulsion artistique à sa manufacture. Le sculpteur français accepte en 1859 la proposition du directeur de la manufacture Elkington. La collaboration est réussie. C’est à Morel-Ladeuil que l’importante Maison Elkington doit ses plus beaux ouvrages. L’Exposition Universelle de 1862 à Londres révèle l’une de ses plus célèbres créations : le guéridon d’argent représentant le Sommeil et les Songes que la ville de Birmingham offrit à la princesse de Galles à l’occasion de son mariage et qui vaut une médaille d’honneur à l’artiste.

Bien que la majorité de ses œuvres aient été produites en Angleterre et représentaient cette Nation aux différentes expositions internationales, le perspicace fabricant français Auguste Lemaire (actif ca.1851 – 1868) prend le pari d’exécuter en bronze argenté son modèle de la « Danse des Willis », achevé en 1855. Propriétaire d’un atelier de bronzes d’art depuis 1851 et membre de la Réunion des fabricants de bronzes depuis 1855, Auguste Lemaire a obtenu à l’Exposition Universelle de 1855 une médaille de 2e classe. Il fond de nombreux bronzes pour les plus grands sculpteurs de l’époque, comme en témoigne son édition du célèbre modèle du Retour de la chasse d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887) à partir de 1862.Le vase-aiguière et son plateau fondu par ses soins et finement ciselé par Louis Deurbergue (1815-1868) a été présenté sur son stand lors de cette Exposition Universelle de 1862. La ronde des Willis semble faire alors échos à la ronde féminine qui orne le guéridon d’argent placé sur le stand concurrent.

Cet exemplaire de la Danse des Willis en bronze argenté, fruit de la collaboration entre Moreil-Ladeuil et le ciseleur Louis Deurbergue, connait un fort succès : « On a beaucoup admiré à l’Exposition de Londres en 1862 un vase-aiguière, la Danse des Willis, aux figures d’argent, se détachant sur fond or avec la finesse d’exécution des œuvres de la Renaissance (…) M. LEMAIRE a obtenu à Londres la prize medal » (Exposition universelle de 1867 à Paris : catalogue général (2e édition, revue et corrigée) publié par la commission impériale, Paris, E. Dentu, 1867, p. XIII.).

Contrairement aux trois autres exemplaires en bronze doré passés ces dernières décennies en vente aux enchères, notre exemplaire présente sur les différentes parties, les initiales « AL ». Il est possible que notre vase-aiguière soit cette épreuve en bronze qu’Auguste Lemaire a exposée à l’Exposition Universelle de 1862.

 

Tuesday 25 February 2025 Pichon & Noudel-Deniau Cannes
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