Mahmoud Mokhtar (1891-1934)
Les Trois Mendiants
Épreuve en bronze à patine brune
Signé « M. MOUKTAR »
Porte la marque du fondeur « CFA. PARIS » pour la Fonderie coopérative des artistes
Usures à la patine, petits accidents à la base
Dim. 38,5 x 34 x 17,5 cm repose sur une base en bois
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Estimate : 40.000 / 60.000 €
Hammer Price :
N° de lot : 194
Rodin, Bourdelle, Giacometti, Richier", Paris, Paris Musées, 2018, p. 118 et p. 127 ;
-Nadia Radwan, "Les modernes d'Egypte : une Renaissance des Beaux-Arts et des Arts Appliqués (1908-1938)", Berne, Peter Lang, 2017, pp. 100-106 ;
-Subhi al-Saruni, Sculptor "Mahmoud Mukhtar & his museum : 1891-1934", Le Caire, al-Dar-al-Masriah al-Lubnaniah, 2007.
Vêtus de galabias et de turbans, trois hommes progressent péniblement sur un chemin incertain, ils semblent figés dans le temps. Le premier, le plus âgé, regard tendu vers l’horizon, s’appuie sur un bâton et amène sa main à son oreille gauche dans un geste d’écoute attentive. Il semble guider ses compagnons, plus jeunes. L’un d’eux, vulnérable, s’agrippe fermement au bras du second qui, lui-même, se tient à l’épaule de leur guide. Le modèle des “Trois mendiants”, encore intitulé “Les Trois aveugles”, fait partie des quarante sculptures présentées lors de la rétrospective dédiée à Mahmoud Mokhtar à la galerie Bernheim-Jeune en 1930.
Élève de Guillaume Laplagne (1870-1927) à l’École des beaux-arts du Caire, nouvellement créée, Mokhtar obtient en 1911 une bourse qui lui permet de poursuivre sa formation à Paris. Il devient ainsi le premier artiste égyptien à être admis à l’École des beaux-arts où il intègre l’atelier de Jules Coutan (1848-1939) avec lequel il se lie d’amitié. Au Louvre, Mokhtar admire les chefs d’œuvre de l’antiquité gréco-romaine et de la Renaissance. Il fréquente les ateliers parisiens, notamment celui d’Antoine Bourdelle. À l’issue de la Première guerre mondiale, Mokhtar est nommé directeur des ateliers du musée Grévin en remplacement de son ancien maître Guillaume Laplagne. Dans les années 1920, attaché au glorieux héritage de l’antiquité égyptienne, Mahmoud Mokhtar engage son œuvre dans un courant nationaliste moderne. En réaction à la révolution qui éclate en 1919 contre l’occupation britannique dans son pays natal, Mokhtar sculpte un groupe monumental en granit rose intitulé “Nahdat Misr”, traduit par “La Renaissance” ou “Réveil de l’Egypte”. Marquée par l’influence des canons Art Déco, cette œuvre s’impose comme un manifeste et comme le chef d’œuvre de l’artiste.
Considéré comme le père de la sculpture moderne égyptienne, Mokhtar réunit à son retour au Caire en 1924 un groupe de jeunes artistes baptisé « La Chimère ». Par le biais d’une revue et d’expositions, ce rassemblement revendique la renaissance de l’art en Egypte et ouvre la voie à une génération d’artistes désireux de conjuguer tradition et modernité. L’œuvre sculpté de Mokhtar est marqué par cette ambiguïté entre académisme et modernité et le groupe des “Trois mendiants” témoigne de l’influence manifeste de l’œuvre d’Auguste Rodin. Créé à son retour à Paris vers 1930, le groupe fait clairement écho au monument des “Bourgeois de Calais”, l’attitude de chacun des personnages traduit un mélange de sentiment de confiance, de protection et de vulnérabilité. Les lourds drapés de leurs capes traditionnelles modelés avec vigueur renforcent le caractère expressionniste de l’œuvre. S’il n’est pas certain que Mokhtar ait rencontré Rodin, la préface rédigée par Georges Grappe, conservateur du Musée Rodin, pour l’exposition à la galerie Bernheim-Jeune en 1930 atteste que le sculpteur égyptien a longuement admiré les œuvres du maître. Mokhtar confie la fonte des “Trois mendiants” à la Fonderie Coopérative des artistes. Active entre 1920 et 1946, cette fonderie a pour but de servir les artistes au mieux de leurs intérêts en faisant collaborer sans faire de profit sculpteurs et ouvriers d’art dans un esprit solidaire. L’entreprise reçoit d’importantes et prestigieuses commandes de l’Etat, regroupe sous la forme de souscriptions les plus importants sculpteurs du moment mais le beau projet n’aura qu’un temps et la fonderie se heurte aux réalités du marché. La guerre aura raison de cette belle utopie et notre épreuve des “Trois Aveugles” est un rare et historique témoignage de la grande qualité des bronzes réalisés par l’éphémère Fonderie Coopérative des Artistes.