Un Silence entre effroi et envoûtement

Gazette Drouot n° 37
Vendredi 24 octobre 2025

À Villefranche, on célébrera la Toussaint avec cette œuvre emblématique de la période romantique. Le chef-d’œuvre d’un artiste maudit, Auguste Préault. PAR CAROLINE LEGRAND.

Artiste prolifique, au caractère colérique et provocateur, Auguste Préault a marqué son époque avec des œuvres totalement avant- gardistes. La plus célèbre d’entre elles est sans aucun doute Le Silence, devenue une icône du mouvement romantique et même une référence pour Odilon Redon et Lucien Lévy-Dhurmer, qui voyaient dans ce bas- relief la première création symboliste. Longtemps refusé au Salon, Préault se tourne à partir du milieu des années 1830 vers une autre clientèle, par l’intermédiaire de commandes de particuliers.

À une époque où la bourgeoisie montante cherche à afficher son statut social jusque dans la mort, dans les nouveaux cimetières érigés au-delà des limites de la ville, les monuments funéraires font recette.
C’est ainsi qu’en 1842 le sculpteur réalise le médaillon en bas relief intitulé Le Silence pour orner la tombe de Jacob Roblès (1782-1842) au Père-Lachaise. Ce négociant, né à Port-au-Prince d’une famille juive bordelaise, a rencontré l’artiste par l’intermédiaire de Lamartine. Si Préault sculpte l’original en marbre, il en réalisera plusieurs répliques en plâtre pour répondre à la demande. Onze exemplaires étaient recensés dans le catalogue de l’exposition organisée du 20 février au 18 mai 1997, dont certains conservés au Louvre ou au musée Carnavalet. Ces œuvres sont de fait très rares sur le marché. Le dernier plâtre passé en vente fut adjugé 33 000 € au marteau le 30 novembre 2014 à Melun (Jakobowicz & Associés OVV). Inédit, celui proposé à Villefranche-sur-Saône provient par descendance de René Maurice Prisset, conseiller référendaire à la Cour des comptes. Jamais sorti de la famille, il est en très bon état et se distingue par sa belle qualité de sculpture, l’épreuve étant sèche, nette, profonde et conservant sa patine d’origine. « Le relief est très haut avec parfois une trentaine de centimètres de profondeur, explique l’expert Alexandre Lacroix. On voit que cette épreuve est sortie de l’un des premiers moules. »

Une impressionnante démonstration de la manière dont les romantiques ont détourné le bas-relief, symbole du néoclassicisime, en accentuant le relief et en insufflant du mouvement et de l’expressivité. Après sa présentation au Salon de 1849, cette œuvre remporte un bel accueil public et critique. Il faut dire que les bouleversements de 1848 sont passés par là, entraînant le renouvellement du jury du Salon, et apportant de la nouveauté. « C’est le chef- d’œuvre d’un artiste maudit qui bouscule les codes et révolutionne l’art funéraire », souligne l’expert. À partir de 1858, la large diffusion de l’héliogravure la représentant, réalisée par Charles Nègre, consacre le succès de cette allégorie du silence prenant la forme d’un visage émacié, à la bouche tombante et aux yeux tristes. Avec sa coiffe à la mode florentine, le modèle évoque le poète Dante qui, dans La Divine Comédie, se met en scène au sein d’un périple au cœur des enfers. Son doigt se pose sur sa bouche, réclamant le silence au simple mortel. Cette incarnation de l’invisible passage entre le monde des vivants et celui des morts est devenue un jalon de la sculpture romantique et des arts du XIXe siècle, mais aussi une image universelle.

A SAVOIR : Samedi 1er novembre, Villefranche-sur-Saône. Richard Maison de Ventes OVV. Cabinet Lacroix-Jeannest.

24 octobre 2025