Un ivoire de Claude Beissonat – Gazette Drouot
Gazette Drouot n°11
15 mars 2024
Par Christophe Provot
D’une virtuosité technique incomparable, cet objet de dévotion réservé à un personnage de haut rang est l’œuvre d’un maître ivoirier d’exception, encore mal connu.
Emportée par une cohorte d’angelots émergeant des nuées, la Vierge s’élève vers les cieux. L’élan ascensionnel est accentué par le mouvement complexe des drapés dont les plis s’inscrivent dans l’ivoire avec une vraie maestria. La finesse d’exécution associée à la préciosité du matériau en font un objet de grand prix, que seuls les plus aisés pouvaient s’offrir. Issue d’une collection privée lyonnaise, cette Immaculée Conception appartenait auparavant aux comtes de Miribel, famille de la noblesse iséroise dont les racines remontent au moins au XIVe siècle. Le château de Vors, dans la vallée du Grésivaudan, est leur demeure ancestrale et fut l’écrin de la sculpture jusqu’à sa vente directe à son dernier propriétaire, dans les années 1990. Bien qu’incomplète aujourd’hui, puisqu’il lui manque son auréole métallique et les anges voletant en partie supérieure, l’œuvre n’en demeure pas moins spectaculaire. Il fallait un talent certain à son auteur pour rendre aussi palpable ce moment suspendu. Ainsi, fier à juste titre de son œuvre, celui-ci l’a signée et localisée sur la base « CLA.BEISSONAT.F.NEA » : soit Claudius Beissonat Fecit Neapolis, « Claudius Beissonat l’a fait à Naples ». On ne sait presque rien de cet artiste. Tout au plus pense-t-on qu’il serait originaire de Franche- Comté et plus probablement de Saint-Claude dans le Jura, l’autre grand foyer avec Dieppe de l’ivoirerie française. Il se serait aussi rendu en Espagne vers 1664 avant de s’installer à Naples. Si les spécialistes s’accordent à souligner que Beissonat a su pleinement transposer les leçons de l’Algarde (1595/98- 1654) dans ses œuvres sculptées, on peut aussi y voir des points communs avec les productions de Pierre Simon Jaillot (1631- 1681), lui aussi sculpteur franc-comtois, plus particulièrement concernant les crucifix. Inédite, cette Immaculée Conception n’est pas un cas unique dans l’œuvre de Claude Beissonat, trois autres étant connues.
La version du Museo degli Argenti de Florence – dans le fameux palais Pitti – est la plus proche de celle proposée à Drouot, et a conservé les deux anges accolés aux épaules tenant la couronne étoilée au-dessus de la tête de la Vierge. La deuxième, signée, est visible au palais royal d’El Pardo, aux environs de Madrid. Une troisième, enfin, est passée en vente publique en 2004. Simplement attribuée à Beissonat, elle provenait du Casino dell’Aurora Pallavicini, à Rome. Notre ivoire se distingue par la signature sur la base, une mention peu fréquente chez le sculpteur, cette absence rendant les attributions difficiles, sauf par comparaison stylistique. Témoignage de la foi en la doctrine de l’Immaculée Conception, qui triompha au XVIIe siècle, cette Vierge offre un moment de grâce des plus séduisants.