Satan, une figure du romantisme – Gazette Drouot
Gazette Drouot n°12
22 mars 2024
Ce bronze de Feuchère témoigne de l’aura fantastique gagnée par l’ange ambigu au XIXe siècle.
«Depuis quatre mille ans il tombait dans l’abîme», écrit Victor Hugo dans La Fin de Satan, une vingtaine d’années après que Jean-Jacques Feuchère eut conçu son archange déchu, en 1833. Son rictus n’est plus celui du mauvais génie orgueilleux et prompt à fanfaronner, mais celui d’un être méditant sur son impuissance, qui se manifeste à travers son épée brisée. Le premier bronze de ce Satan a été exposé au Salon de 1835, un an après la présentation de son plâtre. S’il se suffit à lui-même, il faut néan- moins l’imaginer entre deux vases aux chauves-souris, un animal emblématique du nouveau royaume de Lucifer, décrit comme un « cachot éternel » par Hugo. Une frise de chiroptères orne leur panse et
un homme ailé s’accroche à chacun de leur col. L’ensemble compose une spectaculaire garniture de cheminée, dont on peut admirer les pièces réunies au Louvre. De L’Enfer de Dante, au début du XIVe siè- cle, au Paradis perdu de John Milton, publié en 1667, et au Faust de Goethe, édité en 1808, le Prince des ténèbres a hanté la littérature et les esprits pendant des siècles, passant de représentant du mal absolu à la figure fantastique des roman- tiques du XIXe siècle. Feuchère le rend humain en lui faisant prendre une pose similaire à celle de La Mélancolie d’Al- brecht Dürer, une gravure de 1514 dont il possédait une épreuve.