REMBRANDT BUGATTI, COMME UN VIEUX MARABOUT – Gazette Drouot

Gazette Drouot n°10
08 mars 2024

Fondu à une dizaine d’exemplaires par Hébrard, ce Marabout au repos numéroté « 9 » témoigne de l’amour du sculpteur pour ces volatiles à l’étrange apparence, miroir de sa propre solitude. Rembrandt Bugatti a créé le Marabout au repos vers 1907. Un tirage en plâtre de cette époque est conservé au musée d’Orsay. À partir du modèle, l’éditeur exclusif de l’artiste, Adrien Hébrard, tirera au moins une dizaine d’exemplaires entre 1913 et 1934, dont le nôtre, numéroté «9» et répertorié dans le catalogue raisonné de l’artiste par Véronique Fromanger – où il est mentionné «à la Galerie A. A. Hébrard en 1931». Il nous provient aujourd’hui d’une collection particulière lyonnaise. Avec sa belle patine noire, due au travail, au sein de l’entreprise Hébrard, du chef d’atelier Albino Palazzolo – maîtrisant parfaitement la délicate et très précise fonte à la cire perdue –, cet échassier est un sujet pour le moins inattendu. En effet, cet oiseau d’Afrique n’a pas bonne réputation. Jugé agressif et associable, il arbore une drôle de silhouette avec son immense bec, ses longues pattes et son air triste, une étonnante et très expressive synthèse des formes. Mais on le sait, pour Rembrandt Bugatti, chaque animal est digne d’intérêt, et celui qui vécut à l’intérieur même du zoo d’Anvers durant des années a offert à chaque espèce son portrait, presque psychologique.
Par ailleurs, le sculpteur s’identifiait visiblement à cet oiseau. Dans une lettre adressée à une amie vers 1907, il écrit : « Après, n’ayant pas de vos nouvelles, je redeviens vite découragé et morose. Je ressemble à un vieux marabout.» Le caractère mélancolique de Bugatti est bien connu… Après des années de dépression, il se suicida à l’âge de 31 ans, en 1916. La première de ses sculptures sur ce thème fut les Deux marabouts, se frottant l’un contre l’autre, présentés au Salon d’automne de 1908 sous le n° 316, un bronze vendu l’année suivante par Hébrard. L’échassier fut ainsi l’un des premiers oiseaux exotiques et migrateurs d’une longue liste à intéresser le sculpteur. Pélicans, cigognes, flamants roses, vautours, grues ou casoars furent également modelés par ses mains, révélant leur quintessence dans des colombins de plastiline travaillés sans prises de mesure, grâce à son redoutable instinct et à sa sensibilité exacerbée.

MARDI 12 MARS, LYON. CONAN BELLEVILLE HÔTEL D’AINAY OVV. CABINET LACROIX- JEANNEST.

11 mars 2024