Manolo, sur un air de guitare…
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Gazette Drouot n°4
Vendredi 31 janvier 2025
Catalan de cœur et de conviction, ayant vécu à Barcelone, Paris et Céret, il crée un Aragonais d’une grande force plastique affichant une belle provenance : celle de Kahnweiler, rien de moins.
PAR ANNE DORIDOU-HEIM
Manolo est né Manuel Martínez Hugué, fils naturel d’un général engagé à Cuba et d’une mère qui décède alors qu’il n’est qu’un enfant. On ne peut pas dire que les fées de l’art se soient penchées sur son berceau. D’ailleurs son adolescence se passe plutôt dans les lieux malfamés de Barcelone. C’est dans ce contexte peu favorable qu’il s’initie pourtant à la sculpture, suivant des cours à l’École des beaux-arts et profitant de ses dimanches pour courir les expositions. Il découvre ainsi le cabaret Els Quatre Gats, haut lieu de la nuit fréquenté par les artistes en devenir et y croise Ramon Casas, Miquel Utrillo et Pablo Picasso alors en pleines recherches picturales. Manolo gagne misérablement sa vie en travaillant à la fonderie Masriera, mais en contrepartie il peut y étudier le travail des sculpteurs. En 1892, il fait une première excursion à Paris, avant de revenir s’y installer en 1901 et d’y retrouver Picasso. Il côtoie cette fois les artistes et les écrivains de Montmartre et de Montparnasse : Alfred Jarry, Apollinaire, Max Jacob et Jean Moréas, l’auteur du Manifeste du symbolisme qui louera dans un quatrain la verve du sculpteur. D’ailleurs, alors qu’il découvrait les Demoiselles d’Avignon, Manolo se serait écrié : « Elles en ont une gueule ! » En 1910, las d’une vie de misère, il choisit de s’installer à Céret. Deux ans plus tard, un contrat passé avec la galerie Kahnweiler lui assure une sécurité financière. Il effectuera dans la petite cité catalane – côté français – deux longs séjours en 1910-1916 et 1919-1927, et la fera découvrir à ses amis, Picasso en tête. Bien que très proche des avant-gardes, l’homme, que tous décrivent comme très attachant, n’est attiré par aucune de leurs recherches, surtout pas par le cubisme. Il ne se départira pas de sa conception d’une certaine rigueur classique.
La corde sensible
Ses sculptures en terre cuite, le plus souvent de petite taille, présentent une constante : elles sont massives, soudées sur un socle, bras et jambes ramassés autour du corps lui conférant une grande force. « Modeste dans ses ambitions, l’œuvre de Manolo reste donc à l’écart des grands courants de l’art moderne, mais, à l’intérieur des limites qu’elle s’est fixée, elle manifeste avec éclat son originalité et sa force », écrit l’historien Pierre Robin. Cet Aragonais portant l’étiquette de la galerie Simon en témoigne avec détermination. À la fin de la Première Guerre mondiale, Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979) ne retrouve ni sa galerie ni ses tableaux ; ceux-ci, saisis au titre des réparations non payées par l’Allemagne à la France, seront vendus à l’Hôtel Drouot en juin 1921. Il ne lâche rien et ouvre une nouvelle galerie, rue d’Astorg, que – tout de même prudent –, il inscrit au nom de son associé : la galerie Simon. S’il retrouve quelques-uns des artistes avec lesquels il était en contrat avant le premier conflit mondial, ce n’est pas le cas de tous, certains lui ayant été « rapté » par des confrères. Manolo demeure fidèle à son promoteur des premières heures – celui-ci le représente depuis 1912 et jusqu’en 1933. Le modèle de cet Aragonais exécuté en 1926 appartient justement aux œuvres éditées et exposées par Kahnweiler. Cette épreuve vient de la collection de la famille de Claudio Castelucho Diana (1870-1927), un peintre natif de Barcelone également, venu à Paris en 1892… comme Manolo. Peut-être se sont-ils rencontrés devant les chevalets de l’École des beaux-arts de Barcelone ? Celui qui sera l’un des premiers professeurs de l’académie de la Grande Chaumière à partir de 1909 n’a, lui non plus, jamais cédé aux sirènes des abstractions et des avant-gardes.
Vendredi 14 février, salle 5 – Hôtel Drouot. Nouvelle Étude OVV. Cabinet Lacroix-Jeannest.