L’esprit d’un antiquaire du Carré Rive Gauche – Gazette Drouot
02 février 2024
Gazette Drouot n°5
Par Nicolas Demand
Spécialiste du XVIIIe siècle, mais curieux d’autres époques, François Hayem se sépare à Drouot du fruit d’une vie de recherches et de trouvailles. Tour d’horizon.
C’est peu dire de François Hayem qu’il aime les antiquités. Toute sa vie, depuis son adolescence, elles furent l’objet de sa passion, et le conduisirent à rechercher, encore et toujours, les pièces les plus belles et les plus originales, pour le bonheur des amateurs et décorateurs poussant la porte de sa vaste galerie, rue du Bac, au cœur du Carré Rive Gauche. Il en était l’une des grandes figures, depuis des décennies. Aujourd’hui, François Hayem tourne la page. S’il baisse le rideau, il ne renonce pas à ses rêves : repartir sur la route, à la chasse de la prochaine trouvaille, du futur trophée. Pour cela, il s’allège, en dispersant plus de 400 lots à Drouot, des pièces qui étaient soit exposées dans son magasin, soit en réserve, ou encore qu’il gardait par-devers lui, à son domicile. L’homme est du genre discret. Une qualité primordiale dans ce milieu. Il peut cependant se féliciter d’avoir travaillé «avec de grands décorateurs nationaux et internationaux. Des noms prestigieux, synonymes de raffinement et de culture comme Joseph Achkar et Michel Charrière, qui ont par ailleurs réaménagé magistralement l’hôtel de la Marine, Anthony Ingrao ou encore Luc Bouveret», comme le rappelle son amie, la décoratrice et architecte d’intérieur Roxane Rodriguez. Il ne faut donc pas se fier à l’allure faussement nonchalante de cette tête chercheuse… L’ampleur de la vente reflète une curiosité éclectique, débordant des strictes frontières du XVIIIe siècle. C’est pourtant ce dernier qui a fait son renom. Ses connaissances précises sont toujours autant prisées. Il a été président des experts de la Biennale des Antiquaires et a également contribué au vetting de la manifestation qui lui a succédé, Fab Paris. Officiant auprès de la Chambre nationale des experts spécialisés en objets d’art et de collection (CNES), il est également un expert attitré d’autres grands salons d’antiquaires comme celui de Namur ou encore la Brafa, à Bruxelles. Rive gauche, son magasin valait le détour. «Au 13, rue du Bac à Paris, temple du bon goût, se trouvait encore dernièrement l’antre de François, où s’accumulaient tous les trésors de cet archéologue de la chine. Les objets, les meubles, les sculptures et les tableaux étaient disposés d’une telle façon que notre regard avançait par ricochet, allant de merveille en merveille», écrit Roxane Rodriguez dans le catalogue. Et de poursuivre : «On pouvait y voir entre autres une Vénus en marbre conversant avec un cupidon ; une femme voluptueuse enlaçant un satyre ; une paire de vases cloisonnés reposant sur de tranquilles éléphants mais où plus haut […] s’affrontent deux dragons chimériques», le tout «à côté d’un baromètre où deux chérubins s’amusent […], un élégant couple de Chinois à têtes mobiles déambulant sur le plateau d’une commode de marqueterie fine de bois précieux.» Enfin, plus loin : «Le maître des portes et des secrets, le dieu bicéphale Janus.» Les pièces remarquables ne manquent pas dans cette dispersion fleuve. «Les amoureux des antiquités, collectionneurs, conservateurs de musées, antiquaires savent que François Hayem fait partie des sachants. Il est le révélateur d’objets d’art oubliés. Ses choix sont savamment nourris par un esprit érudit alliant la qualité et l’histoire d’un objet, et donc sa rareté», résume notre architecte. De cet ensemble, distinguons une paire de statues de femmes en plâtre patiné rechampi d’or. Estimées 60 000/100 000 €, elles ont été présentées à l’hôtel de la Marine à Paris de mai 2021 à octobre 2022. François Hayem a d’ailleurs beaucoup travaillé pour cette institution, auquel il a vendu plusieurs pièces, dont une fontaine en marbre et des sièges. Posées sur des colonnes cannelées peintes en trompe l’œil imitant le marbre, ces œuvres représentent deux jeunes femmes portant des cornes d’abondance et ont été probablement réalisées par le sculpteur français Joseph Deschamps (1743-1788) ou son atelier. Cet artiste fut actif sur les chantiers du château de Versailles sous le règne de Marie-Antoinette. La salle de théâtre du Petit Trianon abrite deux pièces comparables : deux girandoles en cuivre doré et ciselé, posées sur deux cornes d’abondance portées par deux femmes, le tout en plâtre doré, datant de 1778 et réalisé par Deschamps. Les modèles sont aussi repris dans le dessin de l’architecte Jean Chalgrin (1739-1811) pour un projet du buffet d’orgue de l’église SaintSulpice en 1776.
Angleterre, Italie, Russie…
Si la France domine les arts décoratifs au cours du XVIIIe siècle, d’autres pays se distinguent également. Tout au long de sa carrière, François Hayem a pris soin de ne pas avoir d’œillères géographiques. En témoigne un rare cabinet anglais dit seaweed en placage d’acajou et de palissandre, pierres dures à décor de fleurs et d’animaux, plaque de paésine, bronze doré, bois doré et noirci. Ouvrant en façade par douze tiroirs, il date de l’époque William et Mary (1700-1725). Attribué à Gerrit Jensen (1667-1715), il est évalué 40 000/50 000 €. C’est probablement de Russie que provient, cette fois, une importante paire d’appliques à deux bras de lumière, en bronze ciselé et doré, un travail de la fin du XVIIIe siècle. Ornées de leur décor de nœuds et de serpents enlacés, de frises de perles, de branches et de guirlandes de lauriers, elles sont attendues, ensemble, entre 15 000/20 000 €. Quant à un scriban génois vers 1765, remarquable par son placage de bois de violette dit «en ailes de papillon», il cherche preneur à 30 000/50 000 €. Sautons quelques décennies et entrons dans le XIXe avec une console de forme demilune en acajou, en placage de bois de rose et de violette. Réalisée dans la première moitié du siècle, dans le style d’Adam Weisweiler, elle est estimée entre 15 000 et 20 000 €. Elle avait été acquise dans une vente à New York en 1985. Les amateurs de luminaires ne seront pas en reste avec un lustre en bronze ciselé, doré et laqué bleu à douze bras de lumière, sommé de couronnes royales (15 000/20 000 €). Un travail d’époque Charles X, à rapprocher des réalisations du bronzier Claude Galle. Survivance des styles encore, avec une suite de quatre grands candélabres en bronze ciselé et doré à trois bras de lumière au décor rocaille : elle s’inspire du goût de Juste-Aurèle Meissonnier, architecte dessinateur de la chambre et du cabinet du Roi Louis XV et chantre du rococo. Mentionnons une provenance insigne pour ces pièces affichant une couronne de marquis et les armes de la maison de La Tour d’Auvergne, surmontées d’une couronne ducale (30 000/40 000 €). Elles ont été acquises dans la vente par Poulain-Le Fur de la succession de la comtesse de Pimodan en 1999.