Les Sabines sous influences – Gazette Drouot
Gazette Drouot n°12
22 mars 2024
Il est des œuvres énigmatiques, et celle-ci en est une. Issu d’une collection particulière française, ce bas-relief en marbre illustrant L’Enlèvement des Sabines est un condensé de l’art de la Renaissance. Français ou italien ? D’époque XVIe ou XVIIe ? À ce jour, ni la dizaine de conservateurs, universitaires et historiens d’art qui se sont penchés sur son cas, ni les experts de la vente ne sont tombés d’accord sur l’auteur de cet impressionnant morceau de sculpture. Alternant la technique du très bas-relief, à l’image des œuvres de Donatello au début de la Renaissance, et celle du haut-relief du personnage central, inspirée des sculptures de Giambologna, notre panneau présente une composition ambitieuse et foisonnante d’un épisode légendaire de l’histoire de Rome, au cours duquel la première génération des hommes de la cité se procure des femmes en les enlevant aux autres habitants de la région, notamment aux Sabins. La scène mêle des groupes de cavaliers et de soldats d’infanterie s’emparant des jeunes filles dans un tumulte général. Dans la partie gauche, une femme à genoux implore un soldat tandis qu’au centre, une autre protège sa toute jeune fille. Le général Romulus, portant un casque surmonté d’un aigle, lance le signal à son armée.
Un fronton orné de dieux fleuves, peut-être le Tibre et l’Arno, semble vouloir situer la scène à Rome. Certains voient dans ce travail l’influence de La Bataille d’Anghiari de Léonard de Vinci et de la fresque de La Bataille du pont Milvius par l’école de Raphaël, d’autres la marque du groupe antique des Niobides ou des fresques de Polidoro da Caravaggio. Prolongeant le courant maniériste, l’esprit baroque qui anime cette sculpture fait penser à Primatice et l’école de Fontainebleau, notamment aux reliefs en albâtre représentant le duc de Guise, réalisés par Dominique Florentin pour son tombeau. On s’arrête aussi un instant sur Nicolas Poussin, sur les artistes génois, aucun modèle n’ayant été trouvé en gravure qui pourrait nous éclairer sur l’origine de l’œuvre. Sa destination elle aussi interroge. Le traitement hardi des raccourcis et la faible épaisseur du panneau invitent à envisager une localisation initiale en hauteur : frise d’un château ou décor de cheminée. Là encore, mystère. L’auteur, anonyme, a mis toute sa passion dans la réalisation de ce relief. La magie des œuvres d’art…