Le Bernin : un rarissime tirage papale en bronze – Gazette Drouot
Gazette Drouot n° 14
5 avril 2024
ncarnation de la fidélité au Saint-Siège, Mathilde de Canossa fut l’objet, plus de cinq siècles après sa mort, d’une sorte de vénération de la part d’Urbain VIII. Il commandera son effigie au grand sculpteur baroque après avoir fait transférer sa dépouille au Vatican.
Singulière, cette statuette représentant la comtesse Mathilde de Canossa l’est à plus d’un titre. Par son auteur d’abord, le maître de la sculpture baroque Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin ; par son modèle ensuite, sur lequel nous reviendrons, et enfin par sa nature. «Il est extrêmement rare au XVIIe siècle, qu’un modèle en terre cuite, esquisse de travail pour une réalisation à grande échelle, fasse l’objet de tirages en bronze», explique l’expert Alexandre Lacroix. Mieux encore, «ces bronzes nous font pénétrer dans l’intimité d’un atelier de cette époque, et nous montrent une étape de ce qu’on appellerait aujourd’hui un work in progress, offrant une autre façon de porter son regard sur l’œuvre de l’un des plus grands sculpteurs baroques». Les recherches d’Andrea Bacchi, publiées en 2013, ont permis de dresser un inventaire d’une douzaine de bronzes issus de l’esquisse. L’exemplaire présenté ici serait donc le treizième, non
encore répertorié. Si l’on sait que la première statuette a été réalisée à partir de la terre cuite originale, on ne peut néanmoins éliminer la possibilité que les épreuves suivantes aient été fondues à partir du premier tirage en bronze. «Les épreuves connues, toutes fondues du vivant de l’artiste, se distinguent souvent les unes des autres, commente l’expert. Le corpus est homogène mais on remarque des différences notables dans le traitement de la tiare, des cheveux, des drapés, ou des pieds.» Et d’ajouter : «La qualité des fontes, les ciselures ou les patines varient aussi, sans doute en fonction du rang ou du statut social de la personne à qui elles étaient destinées. Elles ont un petit côté “ovni” pour l’époque, surprenant par leur aspect un peu rugueux, non fini.» Ainsi notre exemplaire
conserve-t-il les traces de son modelage. La force morale incarnée Mathilde de Toscane (1046-1115) est une femme pieuse à laquelle le pape Urbain VIII, lui-même né à Florence, voue un véritable culte. Au point de commander au Bernin un monument lui rendant hommage, destiné à la basilique Saint-Pierre de Rome. Il ira jusqu’à ordonner le vol de la dépouille de celle qui – en pleine querelle des investitures – a fait plier en 1077 le futur empereur germanique Henri IV. Il en transfère ensuite les reliques au Vatican en 1644. Il est aujourd’hui acquis –
grâce aux travaux de l’historien d’art allemand Rudolf Wittkower, plus récemment, ceux de l’Italien Andrea Bacchi, co-auteur de trois ouvrages consacrés au Bernin – que le pontife a souhaité acquérir une statuette en bronze pour ses appartements privés et obtenu du sculpteur l’autorisation d’effectuer plusieurs tirages, destinés à être donnés en cadeaux à des proches ou des diplomates. Le Bernin ne peut rien refuser à son principal mécène, qui lui confie la construction de son palais Barberini, et qui intervient pour calmer les esprits lorsque l’artiste est aperçu poursuivant son frère avec une barre de fer dans les rues de Rome. Les cadeaux ont cependant un but qui dépasse la simple générosité du pape : ami et soutien de Galilée lors de son procès, il est vivement attaqué pour sa supposée mollesse envers les hérétiques par le cardinal Borgia, dans un contexte tendu de Contre-Réforme et de diffusion du protestantisme. La figure emblématique de Mathilde de Canossa, restée fidèle jusqu’au bout au Vatican et au pape Grégoire VII, permet de rappeler aux destinataires leurs devoirs et leurs engagements envers l’Église catholique. Le Bernin la drape à l’antique comme pour souligner sa noblesse. Son attitude évoque sa force morale, son «courage viril» gravé en épitaphe sur son tombeau. Elle tient dans ses mains un bâton de commandement, la tiare papale et les clés de saint Pierre.