L’Age d’airain, le premier buzz d’Auguste Rodin – Gazette Drouot
Le 11 novembre 2021, par Caroline Legrand
Un exemplaire de la seconde réduction de L’Age d’airain rappellera les débuts difficiles d’Auguste Rodin mais aussi sa détermination sans faille. Une histoire à rebondissements.
Lors de la donation d’Auguste Rodin à l’État en 1916, L’Âge d’airain est l’œuvre en bronze dont la valeur est estimée la plus haute. Pourtant, son chemin vers la notoriété fut pour le moins laborieux. C’est au début de l’année 1875 que le sculpteur commence son élaboration. Il travaille encore à Bruxelles, où il a suivi son maître Carrier-Belleuse en 1871, à la fin de la guerre franco-prussienne. Mais le jeune Rodin peine à imposer son travail. Une lueur d’espoir pointe cependant avec l’acceptation de son Homme au nez cassé au Salon de 1875, celui-là même qui a été refusé dix ans plus tôt. Fort de cette victoire, il décide d’aller plus en avant sur la voie de l’indépendance et de l’audace, abandonnant la sculpture ornementale pour des figures plus fortes. Le thème du nu masculin s’impose à lui. Écartant tout académisme, il choisit un modèle non professionnel, un jeune soldat et télégraphiste belge, Auguste Neyt. Ce dernier posera des mois durant dans l’atelier de la rue Sans-Souci, à Ixelles : «Ce n’était guère chose facile, Rodin ne voulait pas forcer les muscles, il avait horreur précisément de la «“pose” académique […] Le maître voulait l’action “naturelle” prise sur le vif.» Avec sa science du modelé, apprise notamment auprès de Barye, l’artiste réussit à offrir une justesse anatomique extrême à sa figure, quel que soit l’angle ou le profil regardé. Une leçon qu’il a peaufinée lors de son voyage en Italie, au printemps 1876, devant les œuvres de Michel-Ange et Donatello. Les créations du grand bronzier de la Renaissance lui rappellent l’intérêt de ce léger déhanchement qui permet des jeux subtils de lumière sur la surface du corps.
Le sculpteur invaincu
En janvier 1877, Rodin présente son plâtre au Cercle artistique de Bruxelles mais la polémique ne tarde pas : on l’accuse de moulage sur nature et on s’interroge sur le sens de cette œuvre, sans titre et sans indication descriptive. Si certains voulurent en faire un soldat avec sa lance, symbole de la défaite de 1870, sous le titre du Vaincu, Auguste Rodin persiste, au Salon de Paris de la même année, en la baptisant L’Âge d’airain. Faisant référence au troisième âge de l’humanité décrit par le poète grec Hésiode, ce nom renvoie à la volonté de l’artiste d’aborder un thème allégorique, au travers de ce jeune homme qui symboliserait l’éveil douloureux de la conscience individuelle face à l’histoire et à l’incertitude de l’avenir. Bien que le public admire la beauté de l’œuvre, il est aussi perturbé par sa vitalité et son réalisme… et de nouveau l’accusation de moulage sur nature circule. De ce scandale naîtra la légende d’Auguste Rodin, car le sculpteur, alors âgé de 36 ans, aurait pu abandonner. Au contraire, il décide de se battre et de monter un dossier – avec des témoignages et des photos du modèle, qui aura un certain écho et lui permettra d’être blanchi. Grâce au soutien de ses amis Carrier-Belleuse, Paul Dubois ou encore Alexandre Falguière, l’État achètera pour 2 000 F le plâtre de L’Âge d’airain en 1880 et un bronze est placé au jardin du Luxembourg. Devenue une œuvre emblématique de Rodin, cette sculpture connut plusieurs fontes et deux réductions. Celle du petit modèle de 1907 aurait été éditée à dix-sept reprises par Alexis Rudier jusqu’en 1945, dont cet exemplaire datant de 1930, acquis en mai 1931 auprès du musée Rodin par Albert Dalimier (1876-1936), le sous-secrétaire d’État des Beaux-Arts et membre du premier conseil d’administration du musée Rodin. Il restera dans sa descendance jusqu’en 2012.
Auguste Rodin (1840-1917), L’Âge d’airain, petit modèle, bronze à patine brune fondu en juillet 1930, h. 64,5 cm. Estimation : 350 000/400 000 €