La Fondation Bemberg rouvre ses portes à Toulouse

Gazette Drouot
Publié le , par Camille Larbey

Après trois ans de travaux, l’hôtel d’Assézat dévoile les joyaux du collectionneur Georges Bemberg. Le nouvel accrochage, plus épuré, fait de la visite une expérience fabuleuse.

La cour de l'hôtel d'Assézat.© Jean-Jacques Ader La Fondation Bemberg rouvre ses portes à Toulouse

La cour de l’hôtel d’Assézat.
© Jean-Jacques Ader

Fin 2021, automne 2022, et finalement février 2024… Les reports de la réouverture de la Fondation Bemberg commençaient à user les plus patients. Pendant la durée des travaux –débutés en novembre 2020 et allongés en raison de la pandémie –, les visiteurs demeuraient pourtant nombreux à pénétrer dans la cour intérieure de l’hôtel d’Assézat, joyau de l’architecture Renaissance, pour en admirer la loggia à l’italienne, la tour capitulaire ou la magnifique coursière sur arcs en anse de panier. Les briques roses et le calcaire blanc des façades tutoient la « vague émeraude », ainsi que Claude Nougaro surnommait la Garonne, qui coule à quelques mètres. Le suspense touche à sa fin : Toulousains, touristes et esthètes vont enfin pouvoir entrer à nouveau dans cet écrin abritant la collection de Georges Bemberg (1915-2011), composée de peintures et objets d’art datant du XVIe siècle au milieu du XXe. « C’était ça ou rien. Il y avait une telle affinité, un tel accord, une telle harmonie », s’enthousiasmait cet Argentin francophile à propos de son choix final de l’hôtel d’Assézat, au moment de l’ouverture au public de la Fondation en 1995. Faute de place chez lui, le discret collectionneur, issu d’une richissime famille d’origine allemande, ancien élève de Nadia Boulanger et homme de lettres, était réduit à glisser des tableaux sous son lit !

« En proposant un fil chrono-thématique, j’ai souhaité mettre en lumière les grandes lignes de force de la collection, tout en faisant ressortir les goûts de l’homme, explique la directrice ».

Jusqu’alors, la Fondation Bemberg donnait l’impression d’entrer dans le grand salon d’un collectionneur d’antan : toiles accrochées sur deux ou trois rangées, tissus jacquard aux murs, lustres suspendus, objets un peu partout… Un foisonnement qui manquait parfois de clarté. Ana Debenedetti, aux commandes de la Fondation depuis juillet 2022, après quinze années passées outre-Manche – notamment comme conservatrice des dessins et peintures au Victoria and Albert Museum de Londres –, a apporté plus de cohérence. « En proposant un fil chrono-thématique, j’ai souhaité mettre en lumière les grandes lignes de force de la collection, tout en faisant ressortir les goûts de l’homme. Les visiteurs pourront aussi suivre un développement dans l’histoire des arts », explique la directrice. Dès l’entrée, l’ajout d’un espace boutique fait un peu plus « musée ». Sur un lutrin de médiation, placé à l’accueil, est reproduite la première acquisition de Georges Bemberg : une gouache de Camille Pissarro représentant le pont de Mâcon, payée 200 dollars à l’âge de 20 ans à New York. Si le parcours se déploie toujours sur deux étages, la muséographie a été épurée. Seule la moitié des 800 œuvres que compte la collection est présentée, alors qu’autrefois sa quasi-totalité était accrochée. « Je voulais redonner cette sensation de dialogue entre les arts, tout en allégeant le parcours pour vraiment redonner de la visibilité à ces œuvres toutes extraordinaires », précise Ana Debenedetti. Une diète qui offre un parcours plus digeste…

Claude Monet (1840-1926), Bateaux sur la plage à Étretat, 1883 (détail). © RMN - Grand Palais (Fondation Bemberg) / Mathieu Rabeau
Claude Monet (1840-1926), Bateaux sur la plage à Étretat, 1883 (détail).
© RMN – Grand Palais (Fondation Bemberg) / Mathieu Rabeau

Clouet, Desportes et Cassatt

La visite débute avec un ensemble d’œuvres réalisées à Venise au XVIe siècle : une ville chère à Georges Bemberg, où il séjournait fréquemment. Dans les salles suivantes, les grands noms du XVIe au XVIIIe siècle attendent les visiteurs : Clouet père et fils, Cranach l’Ancien, Zurbarán, Vigée Le Brun, Van Dyck, Romney ou encore Van Goyen. Une sélection d’objets d’art – statuettes florentines, émaux de Léonard Limosin, manuscrits aux reliures finement ouvragées, horloges rares – viennent scander le parcours. Les récentes acquisitions sont fièrement exposées : notamment l’armoire à folios de Bernard II Van Riesen Burgh, surnommée la « Joconde du mobilier XVIIIe », emportée à Drouot en juillet 2021 pour 1,26 M€. La précision exquise de la nature morte de François Desportes, achetée à Bordeaux pour plus de 2 M€ l’année précédente, flatte également le regard. Ana Debenedetti est aussi heureuse de pouvoir enfin présenter le morceau de réception en terre cuite d’Angelo de Rossi, représentant une Adoration des bergers, sculpté en 1711 pour son élection à l’académie de Saint-Luc à Rome. « Nous l’avons accroché à hauteur d’œil, dans un raisonnement philologique, puisque ce qui est intéressant, c’est de regarder tous ces différents niveaux de volumes, en aplat, en demi-aplat, en ronde-bosse, qui permettent à la composition de fonctionner ». Alors que celui-ci fut longtemps considéré comme perdu, une analyse poussée indique qu’il s’agit de l’original. Ce chef-d’œuvre, emporté pour 701 800 € en juin 2022 à Corbeil-Essonnes, contribuera certainement à la reconnaissance de son auteur, célébré parmi ses pairs mais injustement tombé dans l’oubli en raison de sa mort prématurée, à l’âge de 44 ans.

Après avoir emprunté la coursive extérieure, on arrive au dernier étage, consacré au XIXe et au XXe siècle. D’une salle à l’autre, le visiteur découvre un Georges Bemberg explorateur de l’impressionnisme (Claude Monet, Gustave Caillebotte, Camille Pissarro, Berthe Morisot), du divisionnisme (Paul Signac, Henri-Edmond Cross), du symbolisme (Auguste Rodin, Odilon Redon), du synthétisme (Paul Gauguin) puis des Nabis (Paul Sérusier). Les lecteurs attentifs de la Gazette reconnaîtront le Portrait de jeune femme au chapeau blanc de Mary Cassatt, qui ornait la couverture du n° 35 de 2023, adjugé à près de 1,22 M€. Un espace est spécialement réservé à Pierre Bonnard, chouchou du collectionneur, qui possédait une trentaine d’œuvres de ce Nabi « très japonard » selon lui. Assurément, il avait un goût pour les avant-gardes, mais pas pour toutes, puisque le surréalisme ou dada sont absents.

Cet accrochage allégé offre une respiration et met mieux les toiles à l’honneur, avec ses murs repeints dans des teintes thé, chocolat et jaunes, une palette de couleurs prisées des impressionnistes. Le parcours s’achève sur un cabinet d’arts graphiques, actuellement occupé par des pastels d’Edgar Degas, d’Auguste Renoir ou encore de Berthe Morisot, et qui bénéficiera de rotations plus fréquentes. La fermeture de l’hôtel d’Assézat a été l’occasion d’une campagne de restauration de plusieurs œuvres, dont un bureau cylindre néoclassique de David Roetgen (acheté à Drouot 130 000 €). Le nettoyage du Portrait de Louise de Savoie par François Clouet, seul portrait peint connu de la mère de François Ier, a rendu aux volumes leur lisibilité et surtout dévoilé un fond coloré, qui avait été repeint en noir.

Francisco de Zurbarán (1598-1664), L'Enfant Jésus à la couronne d'épines, vers 1645-1650.© RMN - Grand Palais (Fondation Bemberg) / Mathie
Francisco de Zurbarán (1598-1664), L’Enfant Jésus à la couronne d’épines, vers 1645-1650.
© RMN – Grand Palais (Fondation Bemberg) / Mathieu Rabeau

Un lien à soi

Le programme de rénovation conduit par l’architecte Philippe Pumain, intervenu à Paris sur les restructurations de la maison de Victor Hugo, du cinéma Le Louxor et du Théâtre du Châtelet, a permis de gagner 250 mètres carrés. Une partie de cet espace accueillera les expositions temporaires. La prochaine, intitulée « Les paradis latins : étoiles sud-américaines » (du 8 juin au 3 novembre 2024), rassemblera une sélection de deux cents photographies d’artistes en provenance d’Amérique latine, extraites de la collection de Leticia et Stanislas Poniatowski. Quant aux acquisitions futures, la Fondation revendique de fonctionner uniquement aux « coups de cœur », car Bemberg avait laissé une grande liberté aux administrateurs. Ana Debenedetti, qui a rapporté de ses années outre-Manche l’idée du musée comme espace vivant, veut maintenir dans le temps l’intérêt du public : « Chez les Britanniques, le musée est presque le prolongement de chez soi. C’est vraiment ce que celui-ci devrait être : un endroit qui laisse la liberté de penser, de créer, d’imaginer. C’est en tout cas la mission que l’on se donne. » Finalement, le musée de la Fondation reste un salon. Peut-être un peu moins celui de Georges Bemberg et un peu plus celui du public… Un lieu à soi. Un endroit où revenir.

À VOIR
Fondation Bemberg, place d’Assézat, Toulouse (31),
tél. : 05 61 12 06 89.
Réouverture le 2 février 2024.
www.fondation-bemberg.fr
01 février 2024