La collection d’un curieux de la sculpture – Gazette Drouot

01 décembre 2023
Gazette Drouot n°43
Par ANNE DORIDOU-HEIM

L’expert Albéric Froissart cultivait le sens du secret
pour mieux distiller l’effet de surprise. Cette vente lève le voile
sur quelques-unes des découvertes de ce connaisseur récemment disparu.

Akbéric Froissart est parti trop tôt. Né en 1965, il avait encore beaucoup à vivre et à partager de sa passion pour la sculpture. Après dix ans au Wildenstein Institute comme docu- mentaliste, il collabore à l’étude de François de Ricqlès, puis ouvre une galerie avec André Lemaire, autre connaisseur de référence. Ensemble, ils s’emploient à défendre la sculpture occidentale – principalement celle produite entre le XVIIIe et la seconde moitié du XIXe siècle – et à faire sortir de l’oubli des artistes ayant, par leurs réalisations sensibles, inscrit leurs ciseaux dans l’histoire de l’art. Puis, il reprend son indépendance. Son expertise dans son domaine de prédilection était saluée de tous et la dispersion de sa collection de sculptures, emblématique de son œil érudit, lui offre un dernier hommage.

L’esprit créateur

En décembre 2002, le commissaire-priseur Olivier Choppin de Janvry lui confie l’organisation de la dispersion de la collection Edmond Courty : cent vingt numéros et presque autant de chefs-d’œuvre du XVIIIe siècle, signés Houdon – une exceptionnelle réunion de ses bustes –, Pigalle, Pajou et Lemoyne. Cette vente a fait date pour la sculpture autant que pour Albéric Froissart. Son ami André Lemaire l’exprime simplement : « [Ce] grand succès a consacré son autorité en la matière.» Lors de l’exposition organisée à la galerie Aaron au printemps 2021, le musée des beaux-arts d’Orléans avait acquis le gisant en plâtre, par Jean-Marie-Bienaimé Bonnassieux (1810-1892), de la duchesse de Luynes, une étude pour son tombeau dans l’église de Dampierre. Pour Bruno Desmarest, directeur de la galerie Aaron, «avoir mené à bien ce projet autour du romantisme, une période qui lui tenait particulièrement à cœur, demeurera sa dernière satisfaction professionnelle ». « Sa personnalité riche et complexe s’accordait parfaitement avec ce moment de l’histoire de l’art spécifiquement français, caractérisé par le refus de l’académisme et du classicisme et par l’attrait pour les sentiments passionnels », ajoute Alexandre Lacroix, expert de cette vente. Le nom d’Antonin Moine (1796-1844), un élève de Girodet et de Gros y apparaissait aussi. Parmi les bronzes de la collection personnelle de M. Froissart, on croise un Gentil- homme de la cour (h. 43 cm, 300/400 €) et Don Quichotte et Sancho Panza (20 x 26 x 14 cm, 400/600 €), tous deux étant attribués à Moine, ainsi qu’une paire de statuettes par un artiste de son entourage, Le Sonneur d’olifant et La Femme au faucon (h. 34 et 30 cm, 1 500/2 000 € la paire). On y retrouve le goût du Moyen Âge, le sens du pittoresque et la glorification de l’histoire nationale qui ont fait ce mouve- ment, exprimés aussi dans la Velléda (h. 46 cm, 600/800 €) d’Hippolyte Maindron (1801-1884), un élève de David d’Angers. La destinée funeste de la prêtresse gauloise atten- dant le geôlier Eudore, dont elle s’était éprise, avait en son temps touché le public. Et que dire de la figure de Jeanne d’Arc ? Très en vogue sous la Restauration et au début de la monarchie de Juillet, elle apparaît sous un aspect assez inusité – loin de la représentation conquérante en armure ou implorante attachée au bûcher –, en terre cuite et coiffée d’un chapeau empanaché de plumes (h. 56 cm, 4 000/6 000 €). Cette image plus humaine de la jeune héroïne, donnée à un artiste de l’école française du premier quart du XIXe, est inspirée d’un tableau du XVIe siècle, dit Portrait des échevins, conservé au musée historique et archéologique de l’Orléanais.

Le goût de la terre cuite

Plus que tout autre avant lui, le XVIIIe est le siè- cle de la terre cuite, avec les noms de Pajou, Houdon, Clodion ou encore Pigalle. Se développe alors en Europe un véritable engoue- ment pour le médium. Deux siècles plus tard, Albéric Froissart saura le faire revivre. L’Égalité, attribuée à Félix Lecomte, le prouve, figurée sous les traits d’une jeune femme portant un nid d’hirondelles d’une main et une balance de l’autre. Si la présence du symbole de la justice est immédiatement compréhensible, celle des oisillons peut demander des éclaircissements. Ils ont pourtant été apportés dès 1643 par Cesare Ripa dans un ouvrage, L’Iconologie (traduit par Jean Baudoin), où il définit l’hirondelle comme un «oiseau charitable, qui fait égale portion de ses petits, et qui n’ôte jamais rien à l’un pour le donner à l’autre». 8 000 à 10 000 € sont attendus de cette esquisse, qui pourrait être celle présentée au Salon de 1773. Nous sommes là dans un style marquant la fin du XVIIIe et le début du néoclassicisme. La statuette de Mars (h. 37 cm), attribuée à Marc Arcis (1655-1739), en exprime un tout autre, mais pour la même estimation. La carrière de ce Toulousain, élève du peintre Jean-Pierre Rivaltz (1625-1706), s’inscrit dans le temps de Louis XIV. Dans cette figure du dieu de la Guerre, on retrouve toute l’emphase d’un temps marqué par les conquêtes… alors que la Minerve pacifère ou Allégorie de la paix du Flamand Barthélémy Verboeckhoven, dit Fickaert, exprime plus de légèreté, avec beaup de charme, celui à la fois d’un matériau et d’un artiste.

Albéric Froissart était un homme d’une autre époque, «brillant en société comme dans son métier, à la fois dandy et épicurien, digne d’un personnage issu de Barbey d’Aurevilly », dit encore son ami André Lemaire. Une figure pourtant indispensable, de celles qui commencent à faire défaut au monde de l’art.

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05 décembre 2023