Le mythe grec revu par Bourdelle

Gazette Drouot n°22
Vendredi 06 juin 2025

Une version du chef-d’œuvre d’Antoine Bourdelle, l’Héraklès archer, sera bientôt à portée, revisitant la mythologie à travers le style « moderne et barbare » cher à son auteur.

Dans la liste des travaux imposés par le roi Eurysthée à son rival Héraklès, le sixième consistait à éliminer les oiseaux du lac Stymphale, en Arcadie. Pour abattre ces redoutables volatiles se nourrissant de chair humaine, le héros empoignera son arc : une scène spectaculaire qui a inspiré les plus grands artistes, depuis les peintres des vases attiques jusqu’à Gustave Moreau. Parmi eux, le sculpteur Émile Antoine Bourdelle en a donné certainement la version la plus puissante avec son Héraklès archer, une statue de bronze devenue iconique. L’histoire du célèbre chef-d’œuvre commence en 1906, lorsque Bourdelle, déjà habité par ce thème mythologique, rencontre son modèle à l’occasion des «Samedis Rodin», soirées organisées chez le maître. Il s’agit du commandant André Doyen-Parigot (1864-1916), officier de cavalerie à la prestance athlétique, dans lequel le plasticien voit immédiatement s’incarner son demi-dieu. Le militaire effectuera de nombreuses séances de pose, dont une photographie garde le souvenir, conservée aujourd’hui au musée Bourdelle à Paris (MB PV 1891). L’officier se plie aux demandes du sculpteur qui choisit de représenter un Héraklès en pleine action et nu, saisi dans une attitude plutôt acrobatique, jambes très écartées, l’une en flexion et l’autre tendue avec le pied posé sur un rocher, le tout en inclinaison… Huit études en terre se succèdent, jusqu’à ce jour de 1909 où Gabriel Thomas – promoteur, entre autres, du théâtre des Champs -Élysées – tombe en arrêt devant la version définitive. Fasciné, l’esthète commande une épreuve en bronze de plus de deux mètres de haut, pour le parc des « Capucins », sa demeure de Meudon.

La célébrité au rendez-vous

Voici Bourdelle rassuré sur la valeur de son projet, et il décide de dévoiler son œuvre au public, à l’occasion du Salon de la Société nationale des Beaux-Arts de 1910. Il y présente la monumentale statue en bronze fondue par Alexis Rudier pour Thomas, d’autant plus impressionnante qu’elle arbore une patine dorée ! La presse se déchaîne, dithyrambique ou méprisante, mais le succès l’emportera, grâce à un Héraklès que le grand critique d’art Louis Vauxcelles va qualifier de « moderne et barbare», et de « clou de la sculpture ». Moderne, l’œuvre l’est assurément, son auteur ayant choisi d’écarter tout élément anecdotique et passéiste, tels vêtement, casque, carquois, jusqu’à la corde et la flèche, absents. À cela s’ajoute une stylisation extrême des traits du visage, les rapprochant de ceux des Kouros de l’archaïsme grec que Bourdelle idolâtre. Pour la petite histoire, on doit aussi ce traitement inédit à la demande du commandant Doyen-Parigot, le modèle ayant prié l’artiste de modifier son visage afin de ne pas être reconnu… Quant à l’Héraklès archer présenté ici, il s’inscrit dans la série de bronzes que Bourdelle fera éditer au cours des années 1920, principalement fondus par Rudier. Pour réaliser ces épreuves d’une excellente facture, il reprendra les moulages en plâtre des huit études en terre des années 1900, et en tirera autant de séries avec variantes, notre héros antique, lui, relevant de la 7e , et d’une taille dite « intermédiaire ».

06 juin 2025