Attribué à Gervais I Delabarre ou Gervais de La Barre (vers 1560/1570-1640)

Vierge de Pitié

Vers 1620
Terre cuite polychromée
État de l'oeuvre : Petits accidents et manques (notamment l'auriculaire gauche du Christ, orteil gauche), restaurations anciennes du bras gauche au-dessus du coude, jambe gauche du Christ, orteil droit de la Vierge), petits accidents à la polychromie
Provenance : collection particulière

H. 31,8 cm et terrasse 9,8 x 15,4 cm, sur un socle en marbre dim. : 25 x 25 cm

Collection particulière

Estimation : 12.000 / 15.000 €

Prix au marteau : 12.000 €

N° de lot : 711

Littérature en rapport :- Pierre Rambaud, « Les sculpteurs poitevins au XVIIe siècle », in Congrès archéologique de France, 1904, 70, p. 342-360 ;
- René Crozet, « Le sculpteur Gervais de la Barre en Poitou », in Bulletins de la Société des antiquaires de l'Ouest, Des 2e et 3. trimestres de 1946, 'TOME XIV DE LA 3e SÉRIE, vol 14, pp.111-114 ;
-Lorraine Mailho-Daboussi, « Une sculpture de Charles Hoyau », in Revue de l'Art, 2003, n°139, pp.67-70 -Geneviève Bresc-Bautier (dir.), Belles et inconnues. Sculptures en terre cuite des ateliers du Maine, cat. exp. Paris, Musée du Louvre, 6 février-27 mai 2002), Paris, RMN, 2002 ;
-Geneviève Bresc-Bautier, Joël Perrin, « Charles Hoyau, sculpteur du Mans », in Bulletin de la Société d'Histoire de l'Art français, 1991, pp. 37-64 ; -Hervé Gransart et alii., Terre et ciel : sculpture en terre cuite du Maine, cat. exp., Yvré-l'Évêque (France), Abbaye de l'Épau, 28 juin-09 novembre 2003, p.114, pp.128-129 ;
-François de La Moureyre, Joël Perrin, Geneviève Bresc-Bautier, « Mieux vaut un vrai Delabarre qu'un faux Sarazin », dans Bulletin de la Société d'histoire de l'Art français, 1991, pp. 65- 90.

Œuvres en rapport :
-Gervais Delabarre, Vierge de Pitié, terre cuite polychrome, Poitiers, Église Sainte-Radegonde ;
-Gervais Delabarre, Le Grand Sépulcre, groupe en terre cuite, Le Mans, Cathédrale Saint-Julien ;
-Charles Hoyau, Vierge de Douleur, 1633, terre cuite, Le Mans, Cathédrale Saint-Julien.

Malgré sa dimension modeste, il émane de cette œuvre de dévotion privée représentant la Vierge de pitié une monumentalité pleine de sensibilité.

La Vierge tient si serré contre son cœur son fils sacrifié, que les deux corps semblent fusionner dans une même douleur. La composition savante et complexe, où les membres de chacun des protagonistes sont projetés du centre et se répondent, construit une forte tridimensionnalité et invite l’orant à regarder la terre cuite de tous les côtés et sous tous les angles.

Le corps du Christ assis sur les genoux de sa mère est présenté de face, maintenu par les longues et fines mains de Marie. Les têtes inclinées dans les directions contraires, le regard intériorisé de la mère aux yeux délicatement ourlés manifestant une douleur contenue, l’expression endormie du Christ, les jeux d’ombres et de lumières créés par la musculature souple et sensuelle du corps mortifère et les plis mouvementés des vêtements de la Vierge, tous ces détails invitent à une profonde méditation sur le thème de la déploration du Christ.

Ce thème de la Vierge de douleur tenant le christ mort, apparu à la fin du Moyen-Âge pour répondre au besoin d’humanisation de Dieu à travers son corps souffrant a ensuite été largement repris par la Contre-Réforme. Les ateliers de terracottistes manceaux se sont saisis de ce sujet fondamental de la doctrine catholique pour produire, soit des œuvres monumentales à placer dans des niches ou sur des autels, soit des terres cuites de petite dimension destinées à la dévotion privée.

Parmi les artistes les plus célèbres et brillants de cette École, Charles Hoyau s’est distingué par l’exécution d’un grand nombre de Vierges de Pitié dont les compositions ont été reprises par ses suiveurs (notamment les Piétas de l’ancienne abbaye de Fontevraud et de la chapelle de Vaulandry). Notre petite Vierge de Pitié n’est pas sans rappeler la très belle Vierge de douleur qui ornait le sommet de la porte de la chapelle du Sacré cœur de la Cathédrale du Mans. La Vierge y est assise, le corps en torsion, un voile à double plis ombrant son front, son long pied droit émergeant de vêtements à la lourdeur subtilement rendue. Jusque récemment l’auteur n’était pas clairement identifié et on ne savait si l’œuvre avait été réalisée par Gervais Delabarre, exécuteur de la première campagne de construction du décor du Jubé dès 1607, ou par Charles Hoyau, participant de la seconde campagne vers 1630. La restauration de l’œuvre a fait apparaitre la date de 1633 et la signature sur l’œuvre et confirmer la paternité de Charles Hoyau. La forte parenté stylistique entre les deux artistes rend souvent difficile l’attribution d’œuvres à l’un ou l’autre des plus talentueux artistes de l’École mancelle du début du XVIIème siècle.

C’est pourtant à Gervais Delabarre qu’il faudrait attribuer notre œuvre tant la composition se rapproche de celle de sa spectaculaire Vierge de Pitié conservée actuellement dans l’église Sainte-Radegonde de Poitiers.Formé dans l’atelier de l’un des premiers sculpteurs connus de l’École mancelle, Matthieu Dionise, son oncle, il réalise ses premiers travaux à Angers pour l’église Saint-Serge, avant de résider au Mans pour exécuter le décor précité du jubé de la Cathédrale, ainsi qu’une Mise au tombeau entre 1610 et 1615. Doté désormais d’une solide réputation, il est appelé ensuite en Poitou où l’abbesse de l’influente abbaye royale de Sainte Croix de Poitiers, Charlotte Flandrine de Nassau d’Orange lui fait plusieurs commandes entre 1615 et 1619. D’abord un groupe au sommet du retable des Jésuites de Poitiers, puis, pour le grand autel de Sainte Croix de Poitiers, une Crucifixion et, dans la niche du contretable « une Nostre Dame de Pitié tenant Jésus mort entre ses bras ».

Notre petite œuvre de dévotion a très probablement été réalisée pendant la même période par l’artiste pour une commande privée. On reconnait d’ailleurs une frappante parenté dans la figure dramatique du Christ avec celle de la grandiose déploration sculptée par l’artiste pour l’église des Cordeliers du Mans et transférée à la Cathédrale Saint-Julien après la destruction de cet édifice.  Cette œuvre, inconnue jusqu’à présent, est une belle découverte à attribuer à cet artiste talentueux, à la tête d’un des meilleurs ateliers de sculptures en terre cuite de l’Ouest de la France dans la première moitié du XVIIème siècle.

06 juin 2024 Chauviré & Courant Angers
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