Est de La France (probablement Bourgogne-Franche-Comté), milieu du XVIe siècle

Vierge de Douleur

Sculpture d'applique en albâtre
(Restaurations au niveau des mains et du bout de pied (insert probablement originel dans le bas du visage), accidents sur le côté gauche du banc)

Hauteur : 62 Largeur : 42 Profondeur : 20 cm

Collection particulière.

Estimation : 20.000 / 30.000 €

Prix au marteau : 20.000 €

Littérature en rapport :Bibliographie : en rapport :
William H. Forsyth, 'The Pietà in French Late Gothic Sculpture : regional variations', New York, 1995
Robert Baudoin,' La sculpture flamboyante en Bourgogne et Franche Comté', Nonette, 1996
Marion Boudon-Machuel, 'Des âmes drapées de pierre, Sculpture en Champagne', PU Tours et PU Rennes, 2017
Sophie Jugie, " De la chartreuse de Champmol au monastère de Brou : marbre et albâtre en Bourgogne et en France Comté, fin du XIVe- milieu du XVIe siècle ", 'El alabastro : usos artisticos y procedencia', Actas I Congresos internacional, 2017, p. 159 -177
Sophie Jugie, Pierre-Yves le Pogam, " Nouvelles perspectives sur les usages de l'albâtre en France du XIVe au XVIe siècle ", in 'Revue de l'art', n°200, 2018-2, p. 7-8
Wolfram Kloppmann, Pierre-Yves Le Pogam, Lise Leroux, " La sculpt ure sur albâtre en France du XIVe au XVIe siècle : enjeux méthodes et résultats d'un programme de recherche ", in 'Revue de l'art' n°200, 2018-2, p. 9-19
Robert Aillaud, Etienne Anheim, " L'albâtre de Notre-Dame de Mésage ", in 'Revue de l'art', n°200, 2018-2, p. 31-36
Geneviève Bresc-Bautier, " La sculpture en albâtre dans la France du XVIe siècle ", in 'Revue de l'art' n°200, 2018-2, p. 37-45

Cette magnifique Vierge orante, initialement installée en hauteur, probablement dans la partie centrale d’un retable, est assise sur un simple banc, la tête baissée entourée d’un ample voile serré au centre de son buste par un large fermail ovale. Les plis du manteau, naturels et larges, se répondent de façon symétrique de part et d’autre des deux mains jointes ainsi mises en valeur. Volumineuse et lourde, la draperie amplifie la silhouette de la Vierge, cachant, pudiquement, presque tout le corps de Marie, exceptés le délicat bout de son pied, ses mains et son visage sévère, contrit, affligé. Cette enveloppe vestimentaire exagérée met en valeur, par jeu d’ombres et de lumières, l’immense souffrance intériorisée émanant de son visage à la beauté classique. Notre œuvre témoigne ainsi de la rencontre harmonieuse d’un thème iconographie tardo-gothique et d’un style maniériste italien matérialisé dans l’albâtre, matériau délicat et prisé utilisé notamment dans la Franche-Comté, territoire des Habsbourg, au milieu du XVIe siècle.
La Vierge représentée seule, en orante, est une composition novatrice diffusée au cours du XVIe siècle : elle supporte le message de la souffrance de la mère du Christ simultanément à celle vécue par son Fils à travers la Passion.

Alors que la thématique de la Pieta s’était largement diffusée dans l’Est de la France pour répondre au besoin d’humanisation de la figure divine, celle de la figure isolée de la Vierge de douleur répond sans doute aux besoins de défendre le dogme et la foi  » catholique  » dans des territoires limitrophes des terres protestantes en pleine Guerres de Religion.
Notre Vierge reprend des Piétas tardo-médiévales champenoises sa forme générale pyramidale, l’absence de la guimpe remplacée par un large manteau-voile enserré autour de la tête ainsi que le geste de prière des mains jointes. En revanche les mouvements animés du drapé valorisant les troubles intérieurs de la mère du Christ ainsi que l’expression de son visage d’une grande beauté classique manifestent l’influence de l’art italien.
La beauté presque sévère de notre Vierge ceinte d’un bandeau à la racine des cheveux témoigne des influences de l’art de Michelangelo et de son entourage (cf. Marie-Madeleine soutenant le corps du Christ de la ‘Pieta Bandini’ conservée Museo de l’opera del Duomo, Santa Maria del Fiore à Florence). L’arcade sourcilière en accent circonflexe très marqué, le nez aux arêtes très saillantes, les lèvres molles et un menton menu et arrondi s’apparentent, quant à eux, au style plus spécifique (et très répandu dans le corpus de la statuaire de la Champagne méridionale à partir des années 1540) de Dominique Florentin (cf. la Vierge du calvaire de Saint Loup sur Aujon ou les œuvres conservées dans l’église Saint Pantaléon de Troyes). Cet artiste italien installé à Troyes au début des années 1540 est considéré comme l’une des figures de proue de la révolution maniériste dans les territoires champenois et limitrophes.
Cependant le traitement du drapé, si particulier et si marqué, s’éloigne complètement du style de cet artiste. On doit d’ailleurs souligner le parallélisme très sophistiqué des deux pans du manteau formant deux retours horizontaux : le premier repose sur les genoux de la Vierge ; le second parachevant la partie inférieure du manteau forme une courbe sur le côté droit de la Vierge, retombe ensuite sur le sol à l’horizontal et recouvre les pieds de la Vierge. Ce singulier détail iconographique n’a été, à l’heure actuelle, retrouvé que sur une seule autre œuvre dont le style et la datation sont totalement éloignés de notre sculpture. Il s’agit de la ‘Vierge des sept douleurs’, provenant très probablement du retable de la chapelle de Notre-Dame des Sept douleurs fondé par Antoine de Montécut, confesseur de Marguerite d’Autriche, au Monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse (conservée dans les collections du musée des Beaux-Arts de Brou). Ce rapprochement avec une œuvre émanant du prestigieux chantier royal lancé par la duchesse de Savoie et gouvernante des Pays-Bas bourguignons pour le compte de Charles Quint entre 1506 et 1532 est d’une importance primordiale pour déterminer le lieu de production de notre œuvre réalisée, comme un grand nombre des éléments de décors de Brou, en albâtre.
Bien qu’il soit impossible à l’œil nu de distinguer de quelle carrière provient le matériau de notre Vierge, son aspect rappelle celui des albâtres jurassiens ou alpins. Ce matériau dont le poli et la facilité de la taille étaient très appréciés à l’époque a largement été exploité sur le chantier de Brou, mais aussi de manière locale. Concurrençant le marbre de carrare par sa blancheur et plus précieux que la pierre calcaire, l’albâtre connait une plus large diffusion au XVIe siècle en Franche-Comté. On y retrouve ainsi un nombre de Vierge de Pitié et autres saints exécutés en albâtre plus élevé que dans les territoires limitrophes. Ce matériau trouve en effet grâce aux yeux de riches commanditaires natifs de la région qui en demandent l’utilisation pour élever des monuments en leur nom. La Franche-Comté, terre de l’héritage bourguignon de Charles Quint sous domination des Habsbourg, persiste ainsi à mettre en valeur ses ressources locales – l’albâtre – et une iconographie mariale soutenant la confession catholique, tout en étant influencé par la mode du maniérisme italien.
Nos plus vifs remerciements envers Mesdames Suzanna Zanuso, Marion Boudon-Machuel, Magalie Briat-Philippe et Monsieur Robert Aillaud qui, par leur partage d’informations et de conseils, nous ont permis de réaliser cette étude.

 

 

La vente initialement prévue le 25 mars 2020 est reportée à une date ultérieure conformément aux recommandations gouvernementales et pour soutenir les efforts pour contrôler l’épidémie du Covid-19.

16 juin 2020 Artcurial Hôtel Dassault - 7 Rond-Point des Champs Elysées
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