Auguste Rodin (1840-1917)
Trois études de main en plâtre : Main droite n°3 ; Main droite, majeur levé et poignet cassé ; Main droite féminine, doigts semi-repliés, annuaire levé
Toutes trois signées « A. Rodin »
Présentées sur une base en bois, dim. 5,5 x 50,1 x 28,7 cm
Présence d'un cartouche en laiton avec l'inscription « A.RODIN » sur le socle central
-Main droite n°3 ; H. 6 x L. 16 cm -Main droite, majeur levé et poignet cassé ; H. 15 x L. 10,7 x P.5 cm -Main droite féminine, doigts semi-repliés, annuaire levé ; H. 5,5 x L. 11,5 cm
Provenance : -Offert par Auguste Rodin à Eugène Carrière ; -Par descendance, Elisabeth Delvolvé, née Carrière, fille du peintre ; -Acquis auprès de cette dernière vers 1935, collection Séré de Rivières ; -Par donation, collection particulière, Toulouse ; -Collection particulière, Toulouse.
Estimation : 30.000 / 40.000 €
Prix au marteau : 85.000 €
N° de lot : 37
-Rainer Maria Rilke, Auguste Rodin, Paris, Editions Emile-Paul Frères 1928 ;
-Jean-René Carrière, De la vie d'Eugène Carrière : souvenirs, lettres, pensées, documents, Toulouse, E.Privat, 1966 ;
-Clare Vincent, "Rodin at the Metropolitan Museum of Art. A history of the collection", in The Metropolitan Museum of Art Bulletin, New York, n°4, XXXVIII, 1981, pp.3-48 ;
-Rodin, les mains, les chirurgiens, cat. exp., Paris, Musée Rodin, 30 novembre 1983-9 janvier 1984, Le Plessis Robinson, imp. Blanchard, 1983 ;
-Raoul Tubiana, « The Hands of Rodin », in Journal of Hand Therapy, Philadelphie, vol. 5, n°4, octobre-décembre 1992 ;
-Hélène Marraud, Rodin : la main révèle l'homme, Paris, Editions du musée Rodin, 2005 ;
-Antoinette Le Normand-Romain, Mina. Ōya, Rodolphe Rapetti, Auguste Rodin, Eugène Carrière, cat. Exp. Tokyo, Musée national d'art occidental, 6 mars-4 juin 2006, Paris, Musée d'Orsay, 11 juillet-1er octobre 2006, Paris, Flammarion, 2006 ;
-Chloé Ariot, « La main : un portrait en acte », dans sous dir. Ophélie Ferlier Bouat, Jérôme Godeau, Rodin / Bourdelle. Corps à corps, cat. Exp., Paris, musée Bourdelle, 2 octobre 2024-2 février 2025, Paris, Paris Musées, 2014, pp. 74-85.
Autres exemplaires de la Main droite n°3 :
-Auguste Rodin, Main droite n°3, terre cuite, dim. : 5,8 x 6,3 x 11,4 cm, Meudon, musée Rodin, inv. S06324 ;
-Auguste Rodin, Main droite n°3, plâtre, dim. : 11,7 x 5,1 x 5,8 cm, Meudon, musée Rodin, inv. S.05520 ;
-Auguste Rodin, Main droite, poignet plié, dite n°3, plâtre, dim. : 5,7 x 12 x 5,8 cm, Meudon, musée Rodin, inv. S.05344 ;
-Auguste Rodin, Main droite dite main n°3, plâtre, dim. : 7 x 11,6 x 6,7 cm, Meudon, musée Rodin, inv. 01350.
Autres exemplaires de Main droite féminine, doigts semi-repliés, annulaire levé :
-Auguste Rodin, Main droite féminine, doigts semi-repliés, annulaire levé, plâtre, L. 14,5 cm, Meudon, musée Rodin, inv. S.5289 ;
-Auguste Rodin, Main droite féminine, doigts semi-repliés, annulaire levé, plâtre, Meudon, musée Rodin, inv. S.5306 ;
-Auguste Rodin, Main droite féminine, doigts semi-repliés, annulaire levé, sans pouce, plâtre, Meudon, musée Rodin, inv. S.05291 ;
-Auguste Rodin, Main droite féminine, doigts semi-repliés, annulaire levé, sans pouce, plâtre, Meudon, musée Rodin, inv. S.05292 ;
-Auguste Rodin, Main droite féminine, doigts semi-repliés, annulaire levé, sans pouce, plâtre, Meudon, musée Rodin, inv. S.05290 ;
-Auguste Rodin, Main droite féminine, doigts semi-repliés, annulaire levé, plâtre, Meudon, musée Rodin, inv. S.05293 ;
-Auguste Rodin, Main droite féminine, doigts semi-repliés, annulaire levé, plâtre, Meudon, musée Rodin, inv. S.05518 ;
-Auguste Rodin, Main droite féminine, doigts semi-repliés, annulaire levé, plâtre, Meudon, musée Rodin, inv. S.05305 ;
-Auguste Rodin, Main de femme, plâtre, L. 15,9 cm, New York, The Metropolitan Museum of art, inv. 66.247.5.
« Il y a dans l’œuvre de Rodin des mains, des mains indépendantes et petites qui, sans appartenir à aucun corps, sont vivantes. » – Rainer Maria Rilke (Auguste Rodin, Paris, Editions Emile-Paul Frères 1928 )
Ce bel ensemble de trois études de mains en plâtre est un rare témoignage du travail d’Auguste Rodin autour de l’idée du fragment et plus particulièrement de la main. Offertes par le sculpteur au peintre Eugène Carrière (1849-1906), elles témoignent aussi de la belle amitié qui lie les deux artistes.
Deux de ces trois mains sont identifiées.
La première est répertoriée comme Main droite n°3 par le musée Rodin, qui en conserve une version en terre cuite ainsi que trois épreuves en plâtre non signées.
La deuxième est titrée Main droite féminine, doigts-semi repliés, annulaire levé. Huit plâtres sont répertoriés au musée Rodin, trois d’entre-eux sont sans pouce, moulé à part. Une neuvième épreuve ayant appartenu à Melvina Hoffman, élève de Rodin, est aujourd’hui conservée au Metropolitan Museum of Art à New York.
Enfin, notre troisième main, Main droite, majeur levé et poignet cassé, est inédite. Elle se distingue des deux premières par un style plus expressionniste. Elle est à rapprocher de la Grande main gauche dite main de pianiste (plâtre, Paris, musée Rodin, inv. S.03186) ou encore de la Main gauche (terre cuite, Paris, musée Rodin, inv. S.01355).
Ces trois épreuves en plâtre réalisées à partir de terres cuites modelées par Rodin présentent des coutures nettes et saillantes et des traces de couteau. Ces marques sont les empreintes d’une part du procédé du moulage à pièces et d’autre part du démoulage. Les mains sont signées « A. Rodin » sur les poignets. Comme souvent, Rodin, qui a pour habitude de faire don de plâtres provenant de son atelier à ses proches ou à ses soutiens, incise sa signature dans le plâtre déjà sec. C’est sans doute le cas pour nos trois mains offertes à l’un de ses plus chers amis, Eugène Carrière.
Issus de milieux modestes, les deux artistes ont rencontré plusieurs échecs, le refus de l’entrée à l’École des beaux-Arts pour le sculpteur et l’échec au Prix de Rome pour le peintre, avant de connaitre le succès vers 1880. Dès leur rencontre vers 1885 par l’intermédiaire du critique d’art Roger Marx, Rodin et Carrière partagent de nombreuses affinités esthétiques et nouent une amitié fidèle et profonde. Ils visitent régulièrement leurs ateliers respectifs et s’offrent respectivement plusieurs de leurs œuvres. Comme l’atteste le catalogue de la vente de l’atelier d’Eugène Carrière les 2 et 3 février 1920, le peintre possédait des plâtres et des bronzes du sculpteur. Poussés par un respect et une admiration mutuelle, ils se témoignent un soutien indéfectible tout au long de leurs carrières. Le peintre intervient notamment en faveur de Rodin lors de la présentation du Balzac qui suscite un scandale au Salon de 1898. Carrière, déterminé à aider son ami, lance lui-même une souscription pour financer la fonte en bronze de l’œuvre monumentale. À la disparition du peintre en 1906, le maître de Meudon demande à la famille l’autorisation de faire réaliser le moulage du visage et des mains de son ami. En 1908, Rodin fonde la Société des Amis d’Eugène Carrière dont il prend la présidence.
Le goût pour l’idée du fragment se développe chez Rodin au cours de sa formation à l’École impériale spéciale de dessin et de mathématiques dite « Petite École » qui privilégie l’étude du corps humain par parties et par la copie d’antiques souvent lacunaires. Dans cette recherche de fragmentation, la main est l’un des sujets de prédilection de Rodin et il y trouve dans sa réalisation indépendante un véritable défi : « J’ai dû beaucoup travailler pour atteindre à ce maximum de vérité d’expression dans le modelé de la main. L’étude de la main humaine est pleine de difficultés. Aujourd’hui j’y trouve un sujet des plus familiers et je m’y complais sans effort ». Georges Grappe, conservateur du musée Rodin de 1925 à 1944, inventorie près de 450 mains en terre cuite et plâtre dans l’atelier du maître. Rodin manipule, observe, ajoute ou soustrait ces mains à des figures. On peut citer l’Adieu réalisé vers 1893-1895 à partir du portrait de Camille Claudel aux cheveux courts auquel le sculpteur ajoute un exemplaire de la Main droite féminine similaire à la nôtre. Elles font aussi l’objet d’assemblages comme pour La Cathédrale ou Le Secret. Parfois intitulées « Mains d’expression », elles s’inscrivent dans la tradition de l’exercice académique de la tête d’expression. Dans le cas de sculptures en pied, elles deviennent des outils dédiés à l’expressivité du geste : dans Les Bourgeois de Calais, elles incarnent par exemple la résignation d’Eustache de Saint Pierre, le désespoir d’Andrieu d’Andres, ou encore la détermination de Pierre de Wissant.
Émouvant témoignage de la profonde amitié qui lie les deux artistes, présentées toutes les trois sur un même socle architecturé, nos trois mains interagissent, dialoguent et se répondent, formant un tout qui s’inscrit dans l’espace comme une sculpture autonome.