ÉCOLE FLORENTINE DE LA SECONDE MOITIÉ DU XVIIE SIÈCLE, ENTOURAGE DE MASSIMILIANO SOLDANI-BENZI (1656-1740)

Portrait de jeune homme dans le goût de l’Antique

Tête en bronze. Technique de fonte à la cire perdue.
Repose sur un piédouche en marbre blanc.
Usures à la patine.

Haut. 33 cm (dont socle 9,5 cm)

Collection particulière.

Estimation : 15.000 / 20.000 €

Prix au marteau : 60.000 €

Littérature en rapport :- M. Thomas, Michelangelo's Brutus and the Classicizing Portrait Bust in Sixteenth-Century Italy, in Artibus et historiae 14 n°27, 1993, p 73 et 80;
- Peggy Fogelman and Peter Fusco, Italian and Spanish Sculpture: catalogue of the P.J. Paul Getty Museum Collection, 2002, Getty Collections, notice 3, pp.16-18;
- Alexis Kugel, Les Bronzes du prince de Liechtenstein, Chefs d'oeuvre de la Renaissance et du Baroque, Paris, 2008, notices 4, 27, 28, 32,33,34;
- Jeanette Kohl, Morals, Males and mirrors. Some thoughts on busts of boys in the renaissance, in Desiderio da Settignano, ed. By J. Connors, A. Nova, B. Paolozzi Strozzi, G. Wolw, Venice, 2011, p. 89 et suiv.;
- Béatrice Paolozzi Strozzi, Saints et enfants, in Le Printemps de la Renaissance, la Sculpture à Florence 1400-1460, catalogue de l'exposition tenu au musée du Louvre du 26 septembre 2013 au 6 janvier 2014, Louvre édition/Officina Libraria, pp. 119-129;
- Eike D. Schmidt, Sandro Bellesi, Riccardo Gennaoli, Plasmato dal Fuoco, La scultura in bronzo nella Firenze degli ultimi Medici, La Gallerie degi Uffizi, Sillabe, 2019.

Ce buste en bronze représente un jeune garçon dans les prémisses de l’âge adulte. La tête légèrement tournée, il a le regard porté franchement vers le côté droit. Sa coiffure un peu désordonnée, dont les mèches irrégulières et asymétriques s’échappent librement dans la nuque, renforce l’expression mélancolique et rêveuse qui émane du visage. Les lèvres lippues, légèrement entrouvertes animent la figure qui, tout en imitant l’art antique officiel et impérial révèle un naturalisme délicat, vivant et dynamique.
L’art classique est à l’origine de l’inspiration de cette oeuvre: les thèmes de l’idéalisation du portrait et de la jeunesse éternelle se manifestent clairement ici. Cette idéalisation est le fondement de l’art classique grec; celui-là même qui sera repris et prolongé par l’art romain, puis par l’art de la renaissance. Bien que dépourvu de tout détail vestimentaire de type drapés ou costume militaire, notre portrait s’apparente clairement au portrait officiel impérial. La coiffure, extrêmement stylisée en frange «pinces de crabe «, rapproche ce portrait de la production de l’époque julio-claudienne.
Une identification exacte ne peut être réalisée, mais des éléments techniques et des détails iconographiques nous renseignent sur l’origine de cette oeuvre. La tête a été fondue et coulée par la technique de la cire perdue. Le moule comprenait au moins deux pièces distinctes, la face avant d’une part, la chevelure d’autre part. Cette dernière présente d’ailleurs un grand nombre de réparations qui ont été réalisées dans la cire, après le démoulage du modèle et avant la coulée. L’ensemble de la chevelure est abondamment et précisément repris, à froid, au ciselet et au brunissoir. La patine translucide d’origine, laissant apparaître la surface mordorée du métal, est encore visible par endroit sous une couche plus brune datant vraisemblablement du XIXe siècle. La tête est présentée sur son piédouche, sans doute d’origine, maintenue à l’arrière à l’aide d’une élégante attache en bronze en forme de «V».
Notre oeuvre réalisée dans la sphère florentine du XVIIe siècle fait perdurer une tradition mise en place à Florence et en Italie dès le XVe siècle: celle de s’exercer à la pratique et de perfectionner son style en copiant et/ou en s’inspirant des oeuvres de l’art classique. Parmi les sculptures copiées de l’antiquité, une part importante est dédiée aux bustes. Dans cet exercice, l’un des plus insignes bronzes de Pier Jacopo Alari-Bonacolsi dit «l’Antico» est aussi un buste d’adolescent, réalisé à Mantoue vers 1520 en bronze patiné et doré (H. 57cm, collection du Prince de Liechtenstein, n°inv. SK.535). Michelangelo, a, quant à lui, exécuté en 1539, à la demande du cardinal Niccolo Ridolfi, un buste en marbre représentant Brutus (acquis par le Grand-Duc François de Médicis). Lui aussi s’inspire des bustes impériaux romains dont il existait de nombreux exemples à Rome.
La mode du portrait d’adolescent portée par l’art du Quattrocento se développe dans la mouvance de Donatello, de Desiderio da Settignano et de Mino da Fiesole. Dans ce contexte, la diffusion de ce type d’oeuvre s’appuie sur la circulation de nombreux ouvrages populaires et de catéchèse à visée pédagogique, telle la Règle pour le gouvernement des soins familiers de Giovanni Dominici ou encore les Évangiles de l’Enfance. Les bustes d’enfants deviennent les miroirs d’un modèle de morale et de vertu (ex: Desiderio da Settignano, Buste de Jeune homme, vers 1450-1455, marbre blanc, Museo nazionale del bargello, inv. Sculture 95). La représentation du jeune saint Jean-Baptiste, patron de la ville, présentée en buste ou en pied, devient la figure de proue de cette imitation par l’exemple (ex. Desiderio da Settignano, Saint Jean-Baptiste enfant, vers 1455-1460, pietra serena, Florence, Museo nazionale del Bargello). La contemplation des effigies du jeune saint sert non seulement une pieuse émulation, mais promeut aussi l’identification des jeunes garçons à des vertus civiques essentielles, telle que la loyauté en leur cité natale. Les identité et patriotisme locaux renforceraient, en retour, l’appartenance des jeunes gens à ce groupe d’âge, au seuil de l’âge adulte.
Notre portrait s’inscrit donc dans cette tradition locale. Le syncrétisme entre les figurations de saint Jean-Baptiste et l’exemplarité des vertus classiques portées par les portraits romains est remis au goût du jour dans les galeries de bustes décorant les maisons princières. Ces influences qui forgent l’identité artistique florentine perdurent pendant plusieurs siècles. À la fin du XVIIe siècle, Massimiliano Soldani- Benzi (1656-1740) exécute ainsi d’après l’antique le buste du jeune Marc Aurèle (Florence vers 1707-1712). Il figure le futur empereur sous des traits plus juvéniles que le portrait officiel. L’artiste réalise également en 1695, une série de huit bustes d’après la série d’antiques conservés aux Offices de Florence (Buste d’Hadrien et Buste d’Auguste, H. 68 et 62 cm, bronze à patine mordorée translucide).
Privé de connotation iconographique – ne portant ni attribut impérial, ni tunique en laine, ni costume contemporain – notre tête d’adolescent s’enveloppe d’une dimension intemporelle et abstraite. Tout en s’attachant à cette idéalisation intemporelle, l’artiste nous propose ici un véritable portrait non dénué d’intériorité et discrètement sensuel. Cette oeuvre exécutée avec grand soin s’échappe du carcan de cette tradition grâce à l’habilité de l’artiste qui a su détourner les codes du genre. Pourtant présentes, les qualités données à la figure idéale ne peuvent cacher, sous l’attitude mélancolique, les premiers émois d’une jeune âme agitée. En ce sens, notre oeuvre, à la formulation technique et stylistique si classiques témoigne avec une grande finesse de la naissance d’un art plus intimiste.

30 juin 2020 Baron Ribeyre & Associés 3, rue de Provence - 75009 Paris
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