Michel Anguier (Eu 1612 ou 1614- Paris 1686)
Pluton mélancolique
Statuette en bronze à patine brun mordoré
Usures à la patine
H : 54,5 cm
Succession du Baron de Vinck, Belgique
Estimation : 100.000 / 200.000 €
Prix au marteau : 395.000 € - 493.750 € (frais compris)
N° de lot : 136
-Conférences de l’Académie royale de Peinture et Sculpture, 1648-168, Édition critique intégrale sous la direction de Jacqueline Lichtenstein et Christian Michel, Paris, Beaux-Arts de Paris éditions, 2007, vol 2, P323—339 et pp. 593— 605, vol 1:377—87.
-Geneviève Bresc-Bautier, Guilhem Scherf (sous la dir.), Bronzes français de la Renaissance au Siècle des Lumières, Paris, Musée du Louvre éd., 2008, pp. 212- 215 et pp.204-205 ;
-Olga Raggio, Sculpture in the Grand Manner : Two Goups by Anguier and Monnot, in Apollo , nov. 1977, pp. 364-375;
-H Stein, « les Frères Anguier, notice sur leur vie et leurs œuvres d’après des documents inédits ». Réunion des sociétés des Beaux-arts des départements, XIII, E Plon,1889, pp.527-609 ;
-Armand Samson, Les frères Anguiers : deux sculpteurs normands, E. Cagniard imprimeur, Rouen, 1889
-Guillet de Saint Georges, Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l’académie royale de peinture et de sculpture, Paris, 1854, I, p440 - Dézallier d’Argenville, Vie des fameux Sculpteurs depuis la renaissance des arts : avec la description de leurs ouvrages, Paris, 1787, II, pp.159-172 ;
-Comte de Caylus, Vie d’Anguier et de Regnaudin [conférence du 3 mai 1749],
dans Mémoires inédits..., p. 451-478.
Après s’être formé auprès de son père menuisier à Eu, Michel Anguier poursuit son apprentissage entre 1629 et 1633 à Paris dans l’atelier de Simon Guillain (1589-1658). A partir de 1641, il séjourne à Rome pendant une dizaine d’années. Aux côtés de Nicolas Poussin et François Duquesnoy, il découvre et se passionne pour les œuvres de l’Antiquité. Il s’initie au baroque auprès d’Alessandro Algardi (1598-1654) et assiste, pour un temps, Gianlorenzo Bernini (1598-1680) dans la nef de la Basilique Saint-Pierre et l’église Saint-Jean de Latran. A son retour en France, Michel Anguier rejoint son frère François sur le chantier du monument funéraire du Duc de Montmorency à Moulins (Allier) puis obtient rapidement d’importantes commandes. On lui doit la décoration des appartements d’été d’Anne d’Autriche au Palais du Louvre, des statues
commandées par Nicolas Fouquet pour son château de Saint-Mandé puis, pour les jardins de Vaux-le-Vicomte. Il sculpte un important cycle de bas-reliefs au Val- de-Grâce ainsi que le groupe de la Nativité commandité par la Régente et signe les ambitieux groupes ornant la porte Saint-Denis à Paris. Sa carrière, exemplaire, s’articule autour de ces grandes commandes et de son implication, certes tardive, mais intensive, au sein de l’Académie royale dont il est professeur adjoint en 1668 puis recteur en 1671.
Si Michel Anguier est l’un des dépositaires du grand style de la sculpture versaillaise insufflé par François Girardon (1628–1715), il est aussi sans doute à l’origine de la diffusion et de l’engouement pour les statuettes indépendantes jetées en bronze, typologie d’œuvres qu’il a eu l’occasion d’admirer en Italie comme le célèbre ensemble du Studiolo des Médicis à Florence.
Cet art, jusqu’alors souvent réservé aux décors d’églises, se développe en partie grâce au succès critique et commercial du fameux Cycle des dieux et des déesses, conçu par Anguier peu de temps après son retour de Rome. Le 6 mai 1690, à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, Guillet de Saint Georges rapporte à propos de ce cycle : « M. Anguier fut occupé en 1652 aux modèles de six figures, chacune de 18 pouces (48,8 cm se rapportant à la figure seule) qui ont été jetés en bronze et qui représentent un Jupiter foudroyant, une Junon jalouse, un Neptune agité, une Amphitrite tranquille, un Pluton mélancolique, un Mars qui quitte les armes et une Cérès éplorée ( … )». (Mémoires inédites, 1855 p. 438). Cette « antiquomanie », fort à la mode dans la France du XVIIème siècle, l’occupe aussi intensément puisqu’il s’agit de ’14 figures de pierre de Tonnerre représentant les Dieux et les Déesses grands comme nature ’ qu’il réalise pour Nicolas Fouquet dans les années 1655-1654.
Notre bronze dont le modèle appartient à cette si célèbre série des Dieux et des Déesses représente le dieu romain des Enfers. Michel Anguier s’est inspiré du célèbre antique l’Hercule Farnèse (H. 317 cm, marbre, actuellement conservé au musée archéologique de Naples) dont un moulage fut réalisé par Poissant pour l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en 1666 (Tirage intégral de l’Hercule Farnèse, troisième quart du XVIIème siècle, surmoulage attribué à Thibault Poissant et Guillaume Cassegrain, Hauteur : 326 cm, Paris, musée du Louvre, n°inv.Gy1300) pour concevoir un Pluton aussi puissant et massif que pensif. Il est accompagné du chien Cerbère qui lui, dérive de l’antique Canis molossus qu’Anguier a pu aussi étudier précédemment à Rome ‘(Conservé au Pio Clementino Museo, Vatican).
Nous avons connaissance de l’existence de ce modèle et des intentions qui ont accompagné sa création grâce à la toute première conférence que Michel Anguier donne à l’Académie, comme son statut l’y oblige, le 9 novembre 1669. En prenant pour sujet L’Hercule Farnèse, Michel Anguier introduit sa théorie personnelle se fondant sur le rôle de la physiologie humorale dans l’expression des sentiments à travers les caractéristiques physiques. Alors que cette thèse est débattue dans les cercles artistiques romains des années 1640, Michel Anguier est l’un des premiers académiciens (avec les peintres Noël et Antoine Coypel), à appréhender en France la théorie antique des humeurs tirée des écrits du médecin grec Galien appliquée à l’art tridimensionnel. Cette théorie est d’ailleurs l’objet d’une autre de ses conférences, Sur la manière de représenter les divinités selon leurs tempéraments, lue en 1676.
Il invite par son discours les sculpteurs à faire coïncider l’aspect physionomique du corps de la figure à son état d’âme intérieur.
En ce sens, son approche de l’art est novatrice : elle entend surpasser les bases de l’enseignement académique qui correspond à l’apprentissage de la manière antique par la copie stricto sensu. Il recommande d’ailleurs de méditer « lentement et séparément sur les belles figures antiques » plutôt que de simplement les copier de manière mécanique.
Pour illustrer sa mise en pratique personnelle de cette théorie humorale, Michel Anguier présente lors de cette conférence un exemplaire de Pluton à son
auditoire (on ne connait ni son matériau ni ses dimensions) : « Je mets en avant toutes ces particularités afin d’avertir à bien prendre garde, quand nous voudrons faire le portrait de quelques divinités, de bien observer leur tempérament. Cette observation nous facilitera pour bien faire la forme des têtes, l’air des visages, l’action de la figure, la forme de la chair et même les draperies, comme nous voyons par cette figure de Pluton que nous avons représentée d’une mélancolie froide et sèche, grossière, terrestre et dégouttante, causée par une eau aigre, mordante et froide que la rate n’a pu épurer, et (qui), conduite au fond du ventricule, excite une faim perpétuelle ».
A la lumière de cette description et de la théorie humorale, la subjectivité des adjectifs choisis par l’artiste pour désigner ses dieux et ses déesses prend toute son sens : Pluton mélancolique est la transcription littérale de sa physionomie d’atrabilaire….
Le Pluton mélancolique, dans sa version en bronze, nous est parvenu dans deux dimensions distinctes, 23,5 cm et une plus grande version, autour de 55 cm. Notre bronze s’inscrit dans ce second corpus de par ses proportions et ses caractéristiques de fonte. On note, une qualité d’empreinte exceptionnelle et une patine mordoré nuancée de rouge qui l’inscrit parmi les meilleurs exemplaires répertoriés. Sa dimension de 54,5 cm socle inclus est aussi indiquée comme étant possiblement la dimension des modèles les plus anciens dans le catalogue d’exposition des Bronzes français de 2008 (p. 205-205).
Enfin L’analyse métallographique (réalisée le 11 avril 2023 par le laboratoire CARAA) qui le distingue aussi des autres œuvres déjà étudiées correspondant à des éditions plus « raffinées » de 1700 ou plus tard, laisse supposer qu’il pourrait s’agir d’une fonte précoce, parmi peut-être les premières datées des années 1660-1670.
Cette œuvre provenant de la succession du baron de Vinck était jusque-là inédite.
Œuvres en rapport :
Pour la grande version :
-Michel Anguier, Pluton mélancolique, bronze, H. 57 x L. 19,9 x P. 15,8 cm, Paris, collection particulière reproduit in Geneviève Bresc-Bautier, Guilhem Scherf (sous la dir.), Bronzes français de la Renaissance au Siècle des Lumières, op.cit., p. 212, cat. 58A.
-Anonyme, Pluton mélancolique d’après le modèle de Michel Anguier, bronze, H. 59 cm, Paris, musée Carnavalet, n° inv. S3293.
Pour la petite version :
-Michel Anguier, Pluton mélancolique, bronze, H. 23,9 x L. 11,1 x P. 9 cm, Dresde, Staatliche Kunstammlungen, Grünes Gewölbe, n° inv. IX.37.