Modèle de Louis Simon Boizot (1743-1809), fonte probable de Pierre-Philippe Thomire (1751-1843)
Napoléon Ier victorieux
Modèle créé vers 1806 et fonte vers 1809-1810
Statuette en bronze à patine brune ; le globe en bronze doré
H. 76 cm sur un socle circulaire en marbre vert antique H.4 cm
Provenance : Vente Sotheby’s du 2/12/2003, puis Collection de la Comtesse et du Comte Charles André Colonna Walewski, Genève
Estimation : 30.000 / 50.000 €
Prix au marteau :
N° de lot : 19
- J. D. Draper, 'The Fortunes of Two Napoleonic Sculptural Projects', dans The Metropolitan Museum Journal, 14, 1980, p. 173-180 ;
- G. Hubert, G. Ledoux-Lebard, Napoléon. Portraits contemporains, bustes et statues, Paris, 1999, pp. 136-139 et pp.156-159 ;
- Louis Simon Boizot (1743-1809) sculpteur du roi et directeur de l’atelier de sculpture à la Manufacture de Sèvres, Versailles, Musée Lambinet, 2001, p.165-166.
Cette importante statuette en bronze d’une qualité exceptionnelle représente l’empereur Napoléon en pied, coiffé de la couronne de laurier, vêtu à l’antique d’une tunique resserrée à la taille et d’un long manteau drapé sur l’épaule, le torse ceint d’un bandeau orné de ses insignes impériaux et le bras droit tendu dans un geste d’autorité. Cette statue de Napoléon triomphant est actuellement la seule œuvre encore existante témoignant du groupe initial conçu par Boizot en 1806, fondu par Thomire vers 1809-1810, mais transformé en 1818 par le fondeur en figure du maréchal de Villars à Denain. Ce groupe est connu et décrit dans le compte-rendu du jury sur les prix décennaux de l’année 1810 : « M Boizot que la mort vient d’enlever aux arts a laissé des ouvrages qui ont mérité l’attention du Jury….on connait encore de cet artiste un groupe allégorique en l’honneur de l’Empereur qui y est représenté élevé sur un tertre, ayant ses pieds des drapeaux conquis sur l’ennemi à la Bataille d’Austerlitz. Ce groupe en bronze, est d’un style à la fois noble et gracieux et d’un rendu précieux ».
L’identification par J. D. Draper en 1980 d’une œuvre conservée au Metropolitan Museum de New York (inv. 1978.55) comme étant l’Allégorie à la Victoire de Napoléon à Austerlitz transformée établit un lien direct avec notre bronze. Cette découverte fondamentale pour la compréhension de l’œuvre révèle que le groupe original exposé au Salon de 1806 sous le titre « S.M. l’Empereur, tenant d’une main la Victoire et appuyé sur Minerve, derrière est la Renommée publiant ses conquêtes », fut modifié par Thomire en 1818 pour représenter le maréchal de Villars.
Les frappantes analogies stylistiques entre les deux œuvres en bronze confirment leur origine commune. L’attitude identique du personnage principal, bras droit tendu, le traitement vestimentaire quasi identique de la tunique resserrée à la taille par une ceinture ornée de branches de laurier et d’étoiles aux mêmes mouvements des plis, la similitude des sandales romaines constituent des éléments de rapprochement indéniables. La genèse de cette sculpture s’inscrit dans le programme artistique de célébration des victoires napoléoniennes du Premier Empire, et particulièrement celle d’Austerlitz. Le recours aux références antiques, loin d’être fortuit, s’inscrit dans une stratégie politique globale visant à légitimer le nouveau pouvoir par l’évocation des grandeurs passées. L’attitude et les détails vestimentaires ne sont sans rappeler ceux de la statue monumentale commandée à Chaudet en 1806 pour couronner la colonne d’Austerlitz, Place vendôme à Paris. Chaudet aurait imposé le manteau et les attributs romains au lieu d’un costume moderne qu’aurait souhaité Vivant Denon chargé de diriger le décor. L’œuvre ne nous est plus connue que par une gravure de Duplessis-Bertaux d’après Zix.
L’artiste, dont la réputation n’était plus à faire après son activité de directeur de la manufacture de Sèvres de 1773 jusqu’en 1800, répond lui aussi aux demandes officielles du pouvoir. Il réalise ses œuvres majeures sous le Consulat et le Premier Empire, notamment deux portraits officiels de Napoléon Bonaparte, l’un en 1798 du général Bonaparte (Manufacture de Sèvres, buste en porcelaine tendre, H.27,4 cm, Paris, Petit Palais, musée des beaux-arts de la Ville de Paris, n°inv ODUT1802), l’autre en 1802 en Premier consul (buste en biscuit, 1803, Paris, musée de l’Armée, n°inv. 02939), et participe lui aussi à la réalisation de la colonne Vendôme en exécutant une vingtaine de plaques.
Alors que Boizot vient de décéder, le compte-rendu du jury sur les prix décennaux de l’année 1810 rappelle également ses participations en 1806 aux concours des monuments commémoratifs des grands faits de Napoléon, relatifs à la Paix d’Amiens et au rétablissement du Culte, deux modèles Génies des Nations belligérantes déposant leurs armes sur l’autel de la concorde et signant le traité que la Paix leur présente, et le Génie tutélaire de la France relevant l’Autel du Christianisme et la Religion rendant Grâces à la Divinité (prix décerné pour ce dernier modèle).
Fournisseur de montures en bronze pour des porcelaines, et des objets d’art en bronze doré pour une clientèle prestigieuse Thomire est nommé en 1809 Ciseleur de l’Empereur, et, en 1811 Fournisseur de leurs Majestés. Il est logique que Boizot ait fait appel à lui pour la fonte de son groupe allégorique, et, probablement pour cette figure isolée de Napoléon, d’autantque le fondeur est aussi réputé pour son habileté de sculpteur (Il expose aux Salons jusqu’en 1834). Cette collaboration entre un sculpteur reconnu et l’un des plus prestigieux bronziers de l’époque garantit une qualité d’exécution exceptionnelle, caractéristique des commandes impériales de cette période.