Auguste Rodin (1840-1917)
Le Désespoir
Modèle créé vers 1890, exécuté entre 1892 et 1893
Marbre
Signé "A.Rodin" sur le côté gauche.
Un avis d’inclusion en vue de la publication du Catalogue Critique de l’Œuvre Sculpté d’Auguste Rodin, actuellement en préparation à la galerie Brame & Lorenceau sous la direction de Jérôme Le Blay sous le numéro 2025-7373B, sera remis à l’acquéreur.
Haut. 28,5 Larg. 15 Prof. 25 cm.
- Auguste Rodin, Paris ; - probablement M. Alexandre Blanc, Paris par l’intermédiaire de Léopold Blondin, octobre 1892 ; - probablement vente publique, "collection Alexandre Blanc", Etude Lair-Dubreuil, Paris-Galerie Georges Petit, 3 avril 1906 lot 179 (4,100F) ; - probablement M. Eugène Finschhof, Paris (marchand / 1853-1926) (acquis à la vente ci-dessus) ; - Me Paul Chevallier, Paris ; par descendance ; - collection privée, France.
Estimation : 500.000 / 700.000 €
Prix au marteau :
N° de lot : 76
- Antoinette Le Normand-Romain, "Les bronzes de Rodin, catalogue des œuvres au musée Rodin", Paris, musée Rodin, RMN, 2007, vol. I, pp. 305-310.
- Aline Magnien, Paul-Louis Rinuy, Véronique Mattiussi, et al., Rodin : la chair, le marbre, catalogue de l’exposition, Paris, musée Rodin, 8 juin 2012-3 mars 2013, Paris, musée Rodin, Hazan, 2012, exemplaire de Claude Roger Marx répertorié et illustré sous le cat. 16, p.144.
Autres exemplaires en marbre :
– Auguste Rodin, Le Désespoir, antérieur à 1900, marbre, Haut. 32,7 cm, ancienne collection Harriet Hallowell, vente Sotheby’s, New York, 18 mai 1990
– Auguste Rodin, Le Désespoir, avec terrasse rectangulaire, marbre, Haut. 29 Larg. 18 cm, Zurich, collection Bürhle
– Auguste Rodin, Le Désespoir, marbre, Haut. 28 Larg. 14 Prof. 24 cm, collection Claude Roger-Marx
– Auguste Rodin, Le Désespoir, modèle vers 1890, sculpté vers 1906, marbre, signé « A. RODIN », Haut. 29,2 Larg. 25,4 Prof. 11,1 cm, Philadelphie, Museum of Art, inv. cat. 1149.
Œuvre en rapport :
– Auguste Rodin, Le Désespoir, modèle en 1887-1890, sculpté en 1914, pierre calcaire, Haut. 93,9 Larg. 34,2 Prof. 78,7 cm, Stanford, Cantor Art Collection, inv. 1974.86.
En 1880, Rodin reçoit de la direction des Beaux-Arts la commande d’une « porte décorative » monumentale s’inscrivant dans le projet de la création d’un musée des arts décoratifs qui viendrait s’élever à l’emplacement de la Cour des comptes incendiée en 1871. Il est prévu au moins huit tonnes de bronze pour les six mètres de hauteur et les deux-cent-vingt-sept figures de cette œuvre magistrale qui va occuper Rodin pendant dix ans. L’idée d’une monumentale « porte décorative » n’est pas en soit novatrice et Rodin connait, bien-sûr, les grandioses portes du Baptistère de Florence réalisées par Lorenzo Ghiberti entre 1425 et 1452 ou encore les portes de l’église de la Madeleine sculptées à Paris par Henri de Triqueti entre 1834 et 1841. L’arrêté de commande précise que les portes devaient être « ornées de bas-reliefs représentant la Divine Comédie de Dante ». Rodin se met à la tâche avec d’autant plus d’ardeur et d’enthousiasme qu’il est un grand admirateur du poète italien. Le sculpteur aboutit en 1890 à une version qu’il considère comme définitive. Les portes sont surmontées par trois personnages qui, penchés, contemplent l’Enfer, tel que Dante l’a imaginé au XIVème siècle. Pour peupler cet univers de damnés, Rodin crée une centaine de personnages. Martyres, génies, faunesses ou encore sirènes grouillent, dialoguent ou s’entremêlent avec des cariatides, des nus à tête grotesque et autres vieillards ou adolescents désespérés.
Parmi tous ces personnages fantastiques, tour à tour effrayants, sensuels ou fascinants, deux personnages viennent illustrer directement le thème principal de la porte : deux figures féminines dont les titres sont explicites Le Désespoir. Le génie et l’audace de Rodin sont ici manifestes et l’attitude originale des deux personnages vient renouveler la représentation allégorique traditionnelle de ce sentiment que l’on retrouve couramment dans la sculpture funéraire. L’une de ces figures féminines à la pose presque acrobatique se trouve dans la partie supérieure du vantail droit, la jambe gauche tendue et relevée à la verticale. L’autre, dans la partie supérieure du vantail gauche, a la jambe légèrement pliée, orientée à l’horizontal et les deux mains attrapant le pied. Notre marbre correspond à cette seconde version que Rodin intitule aussi Ombre se tenant le pied lorsqu’il présente l’œuvre à Vienne en 1897 dans deux versions, l’une en plâtre et l’autre en bronze. Traditionnellement daté circa 1890, Le Désespoir connait un véritable succès. La belle fortune critique de l’œuvre, et les commandes qui en découlent, sont sans doute dues au fait que cette figure, isolée et sortie du contexte de La Porte de l’Enfer, s’éloigne quelque peu de l’idée première du sentiment du désespoir. La douce attitude de la jeune femme présente quelque chose qui pourrait s’apparenter au relâchement d’une danseuse dans l’intimité. Rodin décline le modèle en différentes versions et matériaux. On retrouve Le Désespoir en plâtre, en bronze, en bronze avec socle de pierre, en pierre calcaire et en marbre.
Notre exemplaire en marbre est inédit. Il s’agit de la cinquième version dans ce matériau identifiée à ce jour par le Comité Rodin, sans doute le n°179 de la vente de la collection d’Alexandre Blanc. Acquis probablement lors de cette vente des 3 et 4 décembre 1906 par le marchand Eugène Fischhof, il réapparait près de 120 ans plus tard dans la collection du petit-fils du commissaire-priseur parisien Paul Louis Chevalier. Maître Chevalier, incontournable et célèbre commissaire-priseur du début du XXème siècle, connaissance de Rodin, décède prématurément à l’âge de 55 ans. La sculpture arrive par héritages successifs jusqu’à nous. L’hypothèse d’une première acquisition de l’œuvre par Alexandre Blanc auprès de Rodin s’appuie sur la correspondance entre l’artiste et Leopold Blondin, un collectionneur et fondé de pouvoir au Crédit Lyonnais proche du sculpteur, conservée dans les archives du musée Rodin.
Les quatre autres versions présentent de légères variantes, particulièrement au niveau de la base (voir : Autres exemplaires en marbre). On note que seule la version en pierre calcaire et agrandie au triple, commandée pour la façade de l’hôtel particulier du couple Edouard Autant-Louise Lara (aujourd’hui Stanford University Art Museum and Gallery, n°inv. 1974.86) présente le même détail du pied droit qui déborde de la base avec une subtile sensualité. Notre marbre n’est pas, ou très peu, poli. On sait que Rodin demandait à ses praticiens de pousser les finitions des chairs jusqu’à ce qu’il décide de l’instant précis où il considérait l’œuvre comme achevée. On devine encore les points de repère de la mise en œuvre et le non finito cher à Rodin qui confère à l’œuvre une sorte de flou d’une grande délicatesse.