Camille Claudel (1864-1943)
L’Abandon, petit modèle
Le modèle réalisé vers 1886, la fonte exécutée entre 1905 et 1937
Épreuve en bronze à patine brun rouge nuancée de vert ; Fonte au sable
Signé sur la terrasse à l’arrière « C. Claudel »
Porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » et le numéro « 7 »
H.: 43 cm
Collection privée du Sud de la France
Estimation : 200.000 / 300.000 €
Prix au marteau : 860.000 € / 1.066.400 € -FRAIS COMPRIS-
N° de lot : 100
Œuvres en rapport :
-Camille Claudel, Sakuntala, 1888, plâtre patiné, 190 x 110 x 60 cm, Châteauroux, musée Bertrand, n°inv. 518 ;
-Camille Claudel, Esquisse pour « Sakuntala », vers 1886, terre cuite, 19,5 x 10,7 x 7,6 cm, Paris, musée Rodin, n°inv. S00235 ;
Camille Claudel, Etude I pour « Sakuntala », vers 1886, terre cuite, 15,5 x 11, 5 x 12,5 cm, Paris, musée Rodin, n°inv. S06772 ;
-Camille Claudel, Etude II pour « Sakuntala », vers 1886, terre cuite, 21,5 x 18,5 x 11 cm, Paris, musée d’Orsay, n° RF MO S 2017 4;
-Camille Claudel, Vertumne et Pomone, 1886-1905, marbre, 91 x 80 x 42 cm, signé Camille Claudel sur la terrasse à l’arrière, titré Vertumne et Pomone à l’avant et porte le n°1 sur le socle à droite, Paris, musée Rodin, n°inv. S.01293.
Autres exemplaires répertoriés – Camille Claudel, L’Abandon, petit modèle, bronze, H. 43 cm, porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » et le numéro « 9 », Musée Sainte Croix de Poitiers, (inv. 953.11.66) ; – Camille Claudel, L’Abandon, petit modèle, bronze, H. 42,3 cm, porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » et le numéro « 2 », musée Camille Claudel, Nogent sur Seine, n°inv. 2010.1.23 ;
-Camille Claudel, L’Abandon, petit modèle, bronze à patine noire, H. 43 cm, porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » Fondation Pierre Gianadda, Martigny.
La genèse de L’Abandon, sculpture centrale de l’Œuvre de Camille Claudel, trouve son origine dans un texte du poète hindou de la fin de la période antique, Kalidasa. L’œuvre relate les retrouvailles au Nirvana de Sakountala et de son époux après une séparation provoquée par un enchantement. De fait, les premières esquisses préparatoires modelées par la sculptrice (circa 1886) portent le nom évocateur de l’héroïne indienne Sakountala. S’il est admis que ce poème est bien à l’origine de l’œuvre, le sujet fait surtout écho à la liaison amoureuse qu’entretiennent alors Camille Claudel et Auguste Rodin. Le thème du couple est, au tournant du XIXème siècle, très présent dans l’œuvre de Rodin. L’Abandon de Camille Claudel présente un effet miroir au regard du célèbre Baiser du maître de Meudon. Les deux artistes vivent une passion amoureuse dévorante, travaillent en osmose et partagent le même atelier. En toute logique on remarque d’autres analogies entre L’Abandon et les œuvres de Rodin, L’Éternel Idole (1890) ou L’Éternel printemps (vers 1884). Paul Claudel, le frère de Camille, note toutefois que sa sœur réussit avec brio à extraire, à travers la représentation du couple d’amoureux, son propre style et son propre langage : « Que l’on compare le Baiser de Rodin avec la Première œuvre de ma sœur que l’on peut appeler l’Abandon… Dans le premier, l’homme s’est pour ainsi dire attablé à la femme, il est assis pour mieux en profiter, il s’y est mis des deux mains et elle, s’applique de son mieux comme on dit en américain, à ‘deliver the goods’. Dans le groupe de ma sœur, l’esprit est tout, l’homme est à genoux, il n’est que désir, le visage levé aspire, étreint avant qu’il n’ose le saisir, cet être merveilleux, cette chaire sacrée, qui, d’un niveau supérieur, lui est échue. Elle, cède, aveugle, muette, lourde, elle cède à ce poids qu’est l’amour, l’un des bras pend, détaché, comme une branche terminée par le fruit, l’autre couvre les seins et protège ce coeur, suprême asile de la virginité. Il est impossible de voir rien à la fois de plus ardent et de plus chaste Et comme tout cela, jusqu’aux frissons les plus secrets de l’âme et de la peau, frémit d’une vie indicible ! La seconde avant le contact ».
La première version en plâtre est présentée sous le titre Sakountala au Salon de 1888 et y reçoit une « mention honorable ». Ce plâtre est ensuite offert en 1895 par l’artiste au musée de Bertrand de Châteauroux où sa présentation fait toute d’abord scandale. L’œuvre est considérée comme indécente. Il faut ensuite attendre une dizaine d’années, pour qu’une version en marbre de l’œuvre soit commandée par la omtesse de Maigret et présentée au Salon de 1905. Ce groupe légèrement modifié par rapport au plâtre prend alors le titre de Vertumne et Pomone, sujet moins controversé, inspiré des Métamorphoses d’Ovide.
Cette même année 1905 le fondeur, éditeur et collectionneur Eugène Blot, un des premiers soutiens de Camille Claudel, présente au Salon d’Automne la version (grand modèle) en bronze de l’œuvre, sous le titre, sans doute plus accessible, de L’Abandon. Le célèbre critique d’art Louis Vauxcelles en fait alors cet éloge : « Quant à l’Abandon, nos pauvres mots ne peuvent dire l’émotion sacrée de ce groupe. La femme vaincue qui cède au lamento d’amour de l’homme, à la prière montant vers elle. Un commentaire devant ce pur chef-d’œuvre serait oiseux, presque sacrilège. Redisons ce mot que prononça jadis Eugène Carrière. Il n’en est pas qui convienne mieux à l’œuvre de Camille Claudel : La transmission de la pensée par l’art, comme la transmission de la vie, est œuvre de passion et d’amour ». (La Vie artistique, extrait de Gil Blas, déc. 1905).
Eugène Blot a hérité de la fonderie familiale « Blot et Drouart » vers 1890. Du vivant de la sculptrice, il fond et propose à la vente dans sa galerie une quinzaine de ses modèles les plus célèbres. Ces fontes au sable de L’Implorante ou de La Valse font parties des exemplaires les plus recherchés et, pour nombres d’entre-elles, sont conservées dans les plus grandes institutions publiques.
Pour L’Abandon, Eugène Blot prévoit tout d’abord de réaliser sans distinction des deux dimensions un tirage limité à 50 épreuves. Ultérieurement il précise limiter à vingt-cinq exemplaires chacune des deux versions (62 cm et 43 cm). En réalité, Blot n’en a fait tirer que dix-huit exemplaires du grand modèle et quatorze de la version de 43 cm. En 1937, Eugène Blot cède au fondeur Leblanc-Barbedienne ces droits de tirage pour ce modèle. Barbedienne n’ayant pas fondu cette œuvre, les quatorze exemplaires du petit modèle sont les seuls édités du vivant de Camille Claudel. Trois exemplaires de la version de 43 cm sont actuellement localisés dans des collections publiques (au musée Sainte-Croix à Poitier, au musée Camille Claudel à Nogent-sur-Seine et à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny en Suisse). Les autres ne sont pas localisés ou conservés en main privée. Parmi ces derniers, notre bronze numéroté 7 est une redécouverte.
Notre épreuve est fondue en deux parties par la méthode de la fonte au sable (chacun des deux personnages fondus à part et assemblés par deux écrous de la même manière que les exemplaires conservés dans les collections publiques précités). A l’instar des épreuves d’Eugène Blot, notre fonte est solide, robuste et d’une épaisseur relativement importante. L’empreinte est nette et ne semble que très peu reprise en ciselure. L’ensemble de la surface est savamment brossé de façon à accentuer les creux et les bosses tout faisant vibrer les muscles sous les carnations. La patine brune laisse apparaitre des nuances charnelles de rouge sur les épaules et les dos des deux amants et des touches de vert antique viennent souligner l’aspect naturaliste du tronc d’arbre et de la terrasse.