Gianlorenzo Bernini, dit Le Bernin (1598-1680)

La Comtesse Mathilde de Canossa (Mantoue, vers 1046 – Bondeno di Roncore, 1115)

Vers 1640
Statuette en bronze à patine noire

H. 40 cm

Collection particulière, France

Estimation : 30.000 / 40.000 €

Prix au marteau : 30.000 €

N° de lot : 212

Littérature en rapport :-Rudolf Wittkower, Gian Lorenzo Bernini, the sculptor of the Roman
Baroque [2nd ed.], Phaidon Press London, 1966, cat. no. 33, p.
202;
-Michael P. Mezzatesta, «Three Statuettes of the Countess Matilda of
Tuscany», The Art of Gianlorenzo Bernini: Selected Sculpture, Kimbell
Art Museum (Fort Worth, TX, 1982), no. 2 and fig
-Charles Avery, Bernini, Genius of the Baroque, London: Thames and
Hudson, 1997;
-Francesca Bewer, «Bronze Casts after Bozzetti and Modelli by
Bernini», in Sketches in Clay for Projects by Gian Lorenzo Bernini:
Theoretical, Technical, and Case Studies, Harvard University Art
Museums Bulletin, ed. Ivan Gaskell and Henry Lie, MA, Spring, 1999,
VI, pp.162-167;
-C. D. Dickerson III, Tony Sigel, Ian Wardropper, Andrea Bacchi,
Tomaso Montanari, and Stephen E. Ostrow, Bernini Sculpting in Clay,
Cat. Exp., New York, 2012, n°5, pp.132-134;
-Andrea Bacchi, Matilde di Canossa. Un bronzetto di Bernini degli anni Trenta, Carlo Orsi antichità, Milan, 2013;
- Michele K. Spike, Matilda Canossa and the origins of the
Renaissance, An exhibition in honor of the 900th Anniversary of her
Death, Cat. Exp. tenue du 7 février au 19 avril 2015, Muscarelle
Museum of Art, 2015, notice n°9 p.122-123;
-Ss dir. Maurizia Cicconi, Flaminia Gennari Santori, Sebastian
Schütze, L'immagine Sovrana, Urbano VIII e i Berberini, « La fabbrica dei Santi », Cat. Exp. tenue du 18 mars ou 30 juillet 2023 à Rome,
Barberini/Corsini Gallerie nazionali, notice 17, pp.206-207.

OEuvre en rapport:
-Gian Lorenzo Bernini, Monument à Mathilde de Toscane, 1633-37, Vatican, Basilique Saint-Pierre.

Cette statuette en bronze dérive du modèle de la figure principale d’un des monuments les plus fortement désirés du pontife Urbain VIII : celui de la comtesse Mathilde de Toscane commandé pour la basilique Saint Pierre du Vatican au plus célèbre sculpteur de l’Italie baroque, Gian Lorenzo Bernini. Tenant de sa main droite le bâton de commandement, de sa gauche la tiare papale et les clés de saint Pierre, Mathilde de Toscane est ici représentée comme Fortitudo, la première des vertus théologales. Cette image de bravoure transcrit le caractère héroïque de cette femme illustre du tournant du XIème siècle. Son soutien indéfectible à la primauté pontificale a servi d’exemple dans une Rome du XVIIème siècle aux factions clivantes et ennemies. L’image de la « Virago catholica », originaire de Toscane tout comme les Barberini, était pour le Pape un outil de propagande nécessaire à la politique de consolidation de son pouvoir dynastique et pontifical. Née vers 1046, Mathilde était la fille du duc de Toscane Boniface-le-Pieux et de Béatrice de Lorraine , ainsi que l’épouse du duc de Lorraine Godefroy le Bossu, puis de Welf de Bavière. A la tête de vastes territoires très convoités et s’étendant de la Lorraine jusqu’au sud de La Toscane, elle a joué un rôle prépondérant dans la Querelle des Investitures qui a opposé le futur Empereur germanique Henri IV au Pape Grégoire VII. Elle a aussi offert une partie de ses biens à la Papauté avant de mourir en 1115 à Bondeno.

En juin 1633, le pontife Urbain VIII n’avait donc pas hésité à commanditer le vol de la dépouille de la Comtesse au sein l’abbaye mantouane de San Benedetto à Polirone, produisant une grave crise politique avec le duc de Mantoue, Carlo I Gonzaga de Nevers. Il garda ensuite les reliques au Château Saint-Ange jusqu’à leurs transferts à Saint-Pierre en 1644. Concomitamment il commanda à Gian Lorenzo Bernini ce monument dédié à une femme – le premier- réalisé entre 1633 et 1637 et installé au sein de la basilique Saint-Pierre, devant l’autel du Saint-Sacrement.
Notre figure en bronze n’est cependant pas une réduction de la figure monumentale de la Comtesse ornant ce tombeau, comme en témoignent leurs nombreuses différences iconographiques. Elle est issue, et ce de manière exceptionnelle dans l’œuvre de l’artiste, de son esquisse en terre cuite (considérée comme disparue). Cette dernière aurait servi de modèle pour une douzaine d’exemplaires en bronze aujourd’hui répertoriés.
L’étude très poussée publiée en 2013 par Andrea Bacchi a permis de faire un point sur cette production d’œuvres en bronze réalisées à partir d’un modèle daté de la période classiciste des années 30 du grand sculpteur romain.
Dès la fin des années 1640, un exemplaire en bronze doré de la Comtesse Mathilde est mentionné dans l’inventaire du neveu du pontife, Taddeo Barberini (1603-1647) (conservée à la National Gallery of Victoria de Melbourne en Australie). Cette œuvre est citée de nouveau aux côtés d’un autre exemplaire en bronze (précisément celui étudié par Andrea Bacchi en 2013) dans l’inventaire après décès daté de 1686 du prince Maffeo Barberini (1631-1685). La présence de deux exemplaires de la Comtesse Mathilde dans des collections de l’entourage du Pape conforte l’hypothèse déjà mentionnée par le spécialiste du Bernin Wittkower que le Pontife Urbain VIII souhaitait posséder en souvenir l’œuvre en bronze dans ses appartements privés. Le pontife aurait exigé la production exceptionnelle de bronzes créés à partir du modèle du Bernin pour assoir son pouvoir par l’intermédiaire de présents à ses proches,. Comme l’a remarqué Wittkower et les générations de spécialistes du Bernin après lui , au moins onze des douze exemplaires répertoriés à ce jour de la Comtesse Mathilde dérivent directement ou indirectement du modèle préparatoire en terre cuite pour le monument de Saint-Pierre du Vatican. L’aspect non fini du modello est d’ailleurs particulièrement visible au dos des statuettes (tout comme sur notre exemplaire) où les traces d’outils forment de larges stries parallèles. Comme l’a souligné Andrea Bacchi, ce choix déterminé de conserver dans le bronze une œuvre « non finie » – étape intermédiaire du processus de création de l’artiste – est un parti pris exceptionnel tant pour l’époque que dans la carrière du Bernin.
Les modello n’ont à l’époque pas vocation à être coulés en bronze. Ils servent uniquement comme outil de référence pour le maitre ou son atelier dans l’exécution de grands modèles destinés ensuite à être traduit dans le marbre (ou le bronze). Urban VIII a dû décider que « la fonte en bronze ennoblirait le modèle, lui garantirait une plus grande durabilité et permettrait également sa reproduction » indique Andrea Bacchi. Sur des fondements historiques, il est unanimement convenu que le modello de la figure de Mathilde de Toscane a entièrement été réalisée par le Bernin. Le bronze de la collection Barberini est ,lui, considéré comme appartenant à la seconde catégorie des œuvres de l’artiste selon la classification de Wittwoker : celle des sculptures « créées, dans une plus ou moins grande mesure, par le Bernin ». Le Bernin a donc donné son modèle en terre cuite au Pape au début du projet de la commande vers 1635 et son autorisation pour en réaliser une version en bronze.
Il semblerait que notre exemplaire passé en vente en 1998 avec la provenance présumée d’une Collection Poliakoff à Paris soit une treizième version non encore répertoriée. Les œuvres du corpus présentent de nombreuses variantes dans le traitement de la tiare, des clefs, des mouvements des drapés, des pieds et de la chevelure. La qualité de la fonte et des finitions divergent également. Certaines présentent une ciselure beaucoup plus soignée, d’autres des patines plus ou moins épaisses. Bewer proposait de voir dans ces différences de traitement et de qualité des fonctions diversifiées des différents exemplaires : du cadeau diplomatique au bronze de présentation, en passant par l’œuvre plus brute, témoin du processus créatif pour amateurs de bozzetti. Notre œuvre à la fonte épaisse et rugueuse, dont le modelé est sans doute atténué par l’épaisse patine noire de fumée postérieure, présente ainsi des similitudes iconographiques et techniques avec certains des autres exemplaires, notamment l’exemplaire conservé au Kunstgewerbe Museum de Berlin ou celui de Cambridge (motif de la tiare, et surtout modelé peu abouti des pieds).
Les spécialistes du Bernin ont en effet noté que le sculpteur avait créés différents modèles en cire à partir de la terre cuite (ou cire originale) qui auraient ensuite été chacun retravaillé, ceci expliquant les variantes qui distinguent les différents exemplaires en bronze. Ils notent toutefois que certains exemplaires pourraient avoir été tiré indirectement, à partir d’un premier exemplaire en bronze (celui conservé par le Pape ?). La primauté des deux bronzes de la collection Barberini est incontestée, mais certains bronzes -notamment ceux conservés à Cambridge et Berlin ou le nôtre- et présentant un modelé moins net, pourraient dériver d’un petit bronze plutôt que d’une terre cuite originale.
Les bronzes représentant la Comtesse Mathilde ont donc été créés à partir de l’esquisse en terre cuite du Bernin ou d’un premier exemplaire en bronze. L’artiste a consenti à l’offrir au Pontife pour la réalisation de cadeaux diplomatiques. Ces derniers rappelaient aux Grands européens leur devoir de défenseurs de l’Église, comme le fit Mathilde dont l’épitaphe sur son tombeau indique : « La comtesse Mathilde, femme d’un courage viril, défenseur du Siège apostolique […] qui, oubliant son sexe, s’égala aux Amazones antiques, menant à la guerre des troupes d’hommes bardés de fer.»
17 avril 2024 Coutau-Bégarie & Associés Hôtel Drouot, salle 1-7
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