École italienne ou flamande du XVIIème siècle

Deux harpies

Attribut dans une des chevelures manquant, accidents dans la partie supérieure, usures et éclats épars

Haut. 60 cm ; fixées verticalement sur des structures métalliques tripodes

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Estimation : 15.000 / 20.000 €

Prix au marteau :

N° de lot : 415

Littérature en rapport :-René François Binet, « Essay des merveilles de Nature et des plus nobles artifices, pièce très nécessaire à tous ceux qui font profession d'éloquence », Rouen, 1621 ;
-Svetlana Alpers, The decoration of the Torre de la Parada, Corpus Rubenianum Ludwig Burchard, an illustrated catalogue raisonné of the work of Peter Paul Rubens based on the material assembled by the late Dr Ludwig Buchard in twenty parts, Bruxelles, Arcade press 1971;
- Pascal Julien, « L'ordre caryatide, emblème de l'architecture toulousaine, xvie-xixe siècles », dans Bernadette Suau, Jean-Pierre Amalric, Jean-Marc Olivier (dir.), Toulouse, une métropole méridionale : vingt siècles de vie urbaine, Toulouse, FRAMESPA - UMR 5136, 2009, p. 665-676 ;
-Giorgio Vasari, Vie des artistes (Vie des excellents peintres, sculpteurs et architectes), Bernard Grasset, Paris, ed.2007) ;
-Jacques Vanuxem, « Baroque de surcharge et baroque de mouvement », in Baroque [En ligne], 09-10 | 1980, mis en ligne le 15 mai 2013 ;

Oeuvres en rapport :
-Andrea del Sarto (1486-1530), La Madone aux Harpies, 1517, huile sur bois, 178 x 207 cm, Florence, Galerie des Offices, n°inv. 1890, no 1577.
-Peter Paul Rubens (1577-1640), La Persécution des Harpies, 1636-1637, huile sur panneau, 14,4 X 14 cm, Museo del Prado, Madrid, inv. P002458 ;
-Erasmus Quellin (1607-1678), La Persécution des Harpies, 1636-1638, huile sur toile, 99 X 98 cm, provenant de Torre de la Parada Museo del Prado, Madrid, inv. P001633 ;
-Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin (1598-1680), la Fontaine du triton, travertin, 1642-1643, piazza Barberini, Rome ;

 

Ces deux imposantes consoles sont sculptées en relief selon la rare iconographie mythologique des harpies. Avec dextérité, l’artiste a taillé dans le marbre ces êtres monstrueux à la solde de Zeus, sous les traits de jeunes femmes gracieuses aux bustes d’une grande sensualité. Ils sont aussi dotés d’ailes d’oiseaux déployées se terminant en volutes, tandis que leurs pattes duveteuses s’élargissent en feuillages turgescents. Les deux figures surmontent toutes deux d’étonnantes têtes de cerf dont les bois reposent sur leurs cuisses. Dans la mythologie gréco-romaine les harpies étaient considérées comme les divinités de la dévastation et de la vengeance divine. Filles de Thaumas et de l’océanide Electre, elles sont envoyées par Zeus et Athéna pour punir les hommes qui mettent les dieux en colère. Homère les considère comme les divinités des tempêtes, Apollonios de Rhodes comme des voleuses d’âmes et d’enfants. Virgile les localise à l’entrée de l’enfer. Dans ses Métamorphoses, Ovide raconte le moment où les Harpies sont chassées et tuées par deux des Argonautes, compagnons de Jason pendant la quête de la Toison d’or. Si ces êtres monstrueux font bel et bien partie du répertoire antique et classique réintroduit pendant la Renaissance, comme en témoignent de nombreuses représentations gravées ou en deux dimensions, leurs figurations sculptées sont beaucoup plus rares. La description par Vasari d’une oeuvre d’Andrea del Sarto est pendant longtemps apparue comme un exemple précoce de figuration de ce type de divinités monstrueuses dans un contexte architectural et religieux. Le panneau exécuté en 1517 pour le couvent San Francesco de Macci à Florence porte le titre de « Madone aux harpies » sur la base de l’identification faite par Vasari des monstres représentés sur le piédestal octogonal de la Vierge. Selon lui il s’agissait de harpies « qui semblent vénérer la Vierge à l’Enfant ». (La plupart des historiens de l’art s’accordent de nos jours pour dire que les figures sculptées sont en réalité des locustes, à savoir des femmes- sauterelles, comme celles décrites dans l’Apocalypse de saint Jean l’Évangéliste).

L’iconographie des harpies semblent se diffuser véritablement au XVIIème siècle, un peu plus tardivement que les satyres, tritons et sphinges déjà visibles à foison dans les décors palatiaux de la seconde moitié du XVIème siècle. Ces êtres fantastiques prennent légitimement leur place dans la cohorte des figures, atlantes ou caryatides qui animent les plus fastueuses élévations de l’époque baroque. L’historien de l’art Pierre Julien indique que ces supports anthropomorphe « conçues entre structure et décor, donnent naissance à l’ordre dit « caryatide » qui, bien qu’il n’ait jamais été admis au rang des ordres grecs ou romains, connut dans les domaines théoriques et formels bien des fortunes et bien des interprétations ». Dans son Essai des merveilles de la nature publié en 1621, le Père Binet vante les mérites de la « bonne » architecture qui doit respecter l’eurythmie et dans laquelle s’inscrit un foisonnement d’éléments décoratifs s’inspirant de la nature – macrocosme et microcosme- imaginaire ou réel : :[…] quand la verve saisit leur pinceau, ils font des harpyes dont les queues aboutissent en floccards à costes, revestues de feuilles crêpelées, de volutes garnis de rosaces, de candélabres d’où sortent des rinceaux de feuillages délicats et fort esgayés, qui porteront des petits enfants assis bien enjoués et follastrant ensemble ; des bouillons de fleurs sortant de feuillages et de là certaines moitiés d’animaux inconnus, demy hommes finissant en bestes brutes, mille caprices, qui sont mieux reçus que les vérités mêmes, car il semble qu’on se délecte à être trompés. Il est difficile d’envisager une fonction plus précise que celle « d’enrichissement des ouvrages d’architecture », faute d’informations sur leur contexte architectural d’origine (Père Binet, op cit.). Le détail de la tête de cerf représentée entre les genoux des deux harpies est indubitablement la clé de l’énigme. Très certainement plus qu’à un décor religieux, nos deux cariatides-harpies devaient appartenir à un ensemble décoratif pour un édifice destiné aux loisirs de la chasse. On doit ici rappeler que deux importantes oeuvres peintes, l’une de Rubens, l’autre d’Erasme Quellin représentant la Persécution des Harpies, (1636-1637, huile sur panneau, 14,4 X 14 cm, Museo del Prado, Madrid, inv. P002458 et 1636-1638, huile sur toile, 99 X 98 cm, provenant de Torre de la Parada Museo del Prado, Madrid, inv. P001633) avaient un rapport avec le décor grandiose de la Tour de la Parada, le pavillon de chasse du roi Philippe IV d’Espagne construit vers 1635-1640 et détruit par un incendie en 1714. Dans son ouvrage The decoration of the Torre de la Parada, Svetlana Alpers décrit aussi le décor du Venaria Reale, le sublime pavillon de chasse des ducs de Savoie construit près de Turin à partir de 1675. L’auteur démontre comment les récits d’Ovide, en particulier les Métamorphoses, sont une source majeure pour les scènes mythologiques représentées dans les deux pavillons de chasse. Le décor de la Venaria Reale met en relation les figures mythologiques, particulièrement celle de la déesse Diane, la nature, la chasse et la vie de la cour. Des scènes séparées par des décors formés de masques de satyres auxquels pendent des peaux d’animaux représentent différents types de chasses en rapport avec les quatre éléments (air, eau, feu et terre). Les figures de Bellérophon et de Harpies symboliseraient le règne de Diane sur la chasse dans les airs. La qualité d’exécution de ces deux éléments décoratifs en marbre dans laquelle l’influence du baroque italien est visible (l’artiste a probablement admiré la fontaine du Triton du Bernin à Rome) laisse envisager la main d’un sculpteur de premier ordre, influencé par l’art du grand Rubens. Il pourrait s’agit d’un sculpteur rompu à l’art décoratif monumental, appartenant cette génération de talentueux artistes flamands ou hollandais oeuvrant dans la sphère d’Artus Quellin (1609-1668), tel que Rombout Verhulst (1624-1698).

02 avril 2025 Chauviré-Courant Angers
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