Claude Beissonat (Actif en Espagne vers 1664 et à Naples dans le dernier quart du XVIIème siècle)
Christ de la Crucifixion de type « Cristo Vivo »
Figure sculptée en ivoire d’éléphant (Elephantidae SPP)
Titulus horizontal portant l’inscription : « IESUS / NAZARENUS / REX / IVDEORUM » en ivoire (Elephantidae SPP)
Signé « CLAUDIUS BEISSONAT F. » à l’arrière du périzonium
Christ fixé sur un panneau avec encadrement en bois sculpté et doré H. 122 x L. 100 cm
Le Christ composé de quatre éléments sculptés et fixés ensemble : le corps principal dans l’extrémité d’une grande défense, les deux bras et le drapé du périzonium à part
Le nœud du drapé ceint sur la hanche droite et crâne d’Adam dans la partie inférieure ainsi que la couronne d’épines manquants, la signature en partie reprise dans sa partie centrale après amincissement de la bordure du périzonium, fentes et craquelures, jaunissement localisé lié au vieillissement naturel du matériau, salissures, auriculaire droit et index gauche rapportés postérieurement ; auriculaire gauche refixé
H. des pieds à la tête : 68,5 cm ; H. totale avec les bras : 82 cm - Poids : 6,75 kg
Provenance : Collection particulière, France
Estimation : 30.000 / 50.000 €
Prix au marteau :
N° de lot : 14
-J.M. Azcarate Ristori, « La Real Academia de Bellas Artes de San Fernando », in Las Reales Academias del Instituto de España. Alianza, Madrid, 1992 ;
-Rosanna Caputo, Il Museo Statale di Mileto, Soveria Mannelli, Rubbettino editore, 2002, p.57-59 ;
-A.M. Pedrocchi, « Claudio Beissonat », in G. Morello, V. Francia, R. Fusco, Una donna vestita di sole: l’Immacolata Concezione nelle opere dei grandi maestri, cat. exp., Cité du Vatican, 2005, Milano, Federico Motta, 2005, p. 261 ;
-Isabelle Di Liddo, La circolazione della scultura lignea barocca nel Mediterraneo. Napoli, la Puglia e la Spagna. Una indagine comparata sul ruollo delle botteghe, Roma, Nicola Salzillo, 2008, pp.49-52 ;
-A Garcia Sanz, M.L Sanchez Hernandez Guia, Monasterios de las descalzas reales y de la Encarnacion, Madrid, 2008, p.73 ;
-M.M. Estella, « Sculturas italianas de marfil en España de los siglos XVI al XVIII con nuevas noticias sobre Gualterio, Beissonat y Caffieri », in Barocke Kunststückh. Festschrift für Christian Theuerkauff, a cura di R. Marth, M. Trusted, München 2011, pp. 22-29 ;
-L. Coiro, Aniello Perrone « Scultore di legnami famosissimo e il Calvario di Santa Maria di Montestanto a Napoli », in Ricerche sul ‘600 napoletano. Saggi e documenti (2010-2011), a cura di G. De Vito, Napoli, Arte’m, 2011, p. 8 ;
-Ss. dir. Antonio Bonet Correa, Real academia de San Fernando Madrid, Gui adel Museo, Madrid, Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, 2eme édition révisée, 2012, notice 78, p.139;
-Ss dir. Eike Schmidt et M. Sframeli, Diafane Passioni. Avori barocchi dalle corti europee, Firenze Musei, Sillabe, 2013, notice 113, pp.310-311 ;
-Luigi Coiro, « Algardi e Napoli », in La cappella dei Signori Franzoni magnificamente architettata. Alessandro Algardi, Domenico Guidi e uno spazio del Seicento genovese, 2013, pp.157-181;
-Adrian Contreras-Guerrero, Francesco di Nicolo, « Dal Mediterraneo alla Colombia: casi di circolazione di scultura tra i viceregni spagnoli », in Esperide. Cultura artistica in Calabria, anno X, nn. 19-20, 2017 (2020), pp. 54-70 ;
-Philippe Malgouyre, « L’Immaculée Conception de Claude Beissonat. Un chef d’œuvre de la sculpture napolitaine entre au Louvre”, in La Revue des Musées de France. Revue du Louvre, 2024-4, pp. 12-15.
Autres Christ réalisés par Claude Beissonat actuellement répertoriés :
-Claude Beissonat, Christ en croix, ivoire, signé « CLAUDIUS BEISSONAT F. NAPLI », H.80 cm, Madrid, conservé dans le chœur du Monasterio de la Encarnacion;
-Claude Beissonat, Christ en croix, ivoire, pin, palissandre et ébène, signé « CLAUDIUS BEISSONAT/ FECIT :NEAPOLI », sur le titulus porte l’inscription « IESVS / NAZARENVS / REX / IVDEORUM », dim. 87 x 70 x 23 cm, Madrid, Real Academia de Bellas Artes de San Fernand ; n°inv.E-91 ;
-Claude Beissonat, Christ en croix, ivoire, signé « CLAUDIUS BEISSONAT FECIT :NAPLI », H.81 cm, Buenos Aires, Jaime Eguiruren, Arts and Antiques ;
-Claude Beissonat, Christ en croix, ivoire, signé ?, H.88 cm, Naples, Chiesa dei Giralaminio di S. maria della Nativita et tutti i Santi ;
– Claude Beissonat, Crucifixion, ivoire, non signé, H. 72 cm, sur une croix H. 232 cm, Florence, Palazzo Pitti, Museo degli Argenti, n°inv.A.s.e 1911, n°129.
Sculpté dans une défense d’éléphant d’une dimension et d’une qualité hors normes, ce Christ en croix est à la fois un véritable chef-d’œuvre de l’art ivoirier de l’époque baroque et l’éclatant témoin de la circulation des plus célèbres modèles italiens de Crucifixion dans la sphère sous domination espagnole au XVIIème siècle. Objet de dévotion d’une rare préciosité, symbole du Catholicisme triomphant de la Contre-Réforme, cette figure christique est signée au revers « Claudius Beissonat F. ». L’Œuvre de cet artiste originaire de Franche-Comté, actif en Espagne et à Naples dans le dernier tiers du XVIIème siècle, est progressivement renseigné, depuis quelques années, grâce aux heureuses découvertes et attributions successives qui accélèrent l’état des connaissances de cette personnalité encore bien énigmatique.
L’impressionnant Christ en croix est présenté en position frontale. À la pièce d’ivoire (Elephantidae SPP) principale (H. 68,5 cm) ont été joints les deux bras, unis au corps à hauteur des aisselles au moyen de tenons. Le supplicié devait être initialement cloué à une grande croix (aujourd’hui remplacée par un panneau crucifix) à l’aide de quatre clous, le pied droit posé sur le gauche, les mains légèrement fermées sur les paumes. La tension du poids du corps est remarquablement traitée par une série de plissures rayonnantes partant des plaies. La tête qui devait être couronnée d’épines, comme le laisse penser la trace d’une attache au revers de la tête, est légèrement inclinée vers la droite et tournée vers le haut. Le regard vers le ciel, les lèvres entrouvertes – à travers lesquelles on remarque une langue taillée avec une grande dextérité grâce au creusement par le revers de cette partie de la défense- traduisent le dernier moment du Sauveur. En train d’expirer son dernier souffle, le Christ se soumet à la volonté de son Père dans une attitude pleine de retenue et de dignité.
Le corps souple d’un style classicisant contraste avec le style baroque mouvementé du périzonium maintenu par une corde, rabattu sur le devant, virevoltant sur la hanche droite et faisant savamment écho à la chevelure aussi animée en mèches bien séparées. La dimension totale du corpus christi (H.82 cm), la qualité d’exécution et la pleine maîtrise technique de l’artiste au service d’un réalisme anatomique abouti, offrent à cette figure majeure du Christianisme une charge émotionnelle maximale. L’œuvre est accompagnée d’un titulus portant l’inscription :« IESUS/NAZARENUS/REX/IVDEORUM qui devait initialement être fixée sur la croix. La figure est signée au revers sur la bordure du périzonium : « CLAUDIUS BEISSONAT F ».
Un petit ensemble de sculptures en ivoire (Elephantidae SPP) de très grande qualité signées de cet artiste est désormais répertorié. L’historienne de l’art Margarita Estella fut la première à se pencher en 1984, dans son ouvrage La escultura barroca de marfil en España. Esculturas europeas y coloniales, sur la production de l’artiste en soulignant immédiatement son talent et son activité dans les sphères élitistes de la société espagnole. Elle présentait notamment cinq sculptures signées et d’autres non signées dont l’attribution était avancée par comparaison stylistique et répétition des modèles. Parmi les œuvres signées, l’auteur décrivait deux Crucifixions dont le prototype est similaire à notre exemplaire, toutes les deux situées à Madrid. Le premier et le plus insigne de ces Cristo Vivo est exposé dans le chœur du monastère de la Encarnación à Madrid, monastère royal fondé en 1611 par la reine Marguerite d’Autriche, épouse du roi Philippe III, pour accueillir une communauté de moniales. Le couvent fut doté d’un nombre considérable d’œuvres peintes et sculptées, notamment de Lucas Jordán, Juan Van der Hammen, Vicente Carducho, Gregorio Fernández ou Pedro de Mena. Sur une croix monumentale au centre de la chapelle du couvent, entouré par les stalles des moniales, le grand Christ taillé par Beissonat surplombe un reliquaire abritant le Christ gisant du sculpteur napolitain Michele Perrone (1633-1696) exécuté en 1690. Le second Christ signé « CLAUDIUS BEISSONAT FECIT : NEAPOLI » est actuellement conservé à la Real Academia de San Fernando de Madrid. On ne connait malheureusement rien de sa provenance.
Dans un article publié en 2011 en hommage au spécialiste des ivoires baroques Christian Teuerkauff, Estella Marcos localisait un troisième crucifix en ivoire à Saragosse dans une collection particulière. Elle indiquait que l’œuvre était signée « Claudius Beissonat. Naples » mais aucune photographie n’en a diffusé l’image depuis. En 2013, lors de l’exposition faisant date sur les Ivoires Baroques tenue à Florence, le spécialiste et ancien directeur des Offices Eike Schmidt donnait la paternité du magnifique Christ en croix en ivoire non signé de la prestigieuse collection du Palazzo Pitti à Beissonat. Cette attribution s’appuie sur des comparaisons stylistiques et sur la qualité de l’œuvre, tout comme le furent précédemment celles de l’Immaculée Conception et de la sainte Thérèse d’Avila, œuvres non signées toutes deux inscrites dans l’inventaire des Grands Ducs de Toscane depuis 1769. L’historien d’art allemand signalait également un nouvel exemplaire signé, détenu à l’époque par l’antiquaire Jaime Eguiguren à Buenos Aires (Pourrait-il s’agir de l’œuvre précédemment signalé par Estella Marcos ?). https://jaimeeguiguren.com/artworks/categories/6/9494-claudius-beissonat-christ-on-the-cross-second-half-of-the-17th-century/
Les signatures de trois des œuvres citées ci-dessus nous informent que l’ivoirier Claude Beissonat s’est installé à Naples, capitale de l’Italie du Sud sous la direction de la Couronne d’Espagne. Ce vaste centre urbain au climat cosmopolite attirait à l’époque autant d’artistocrates et d’entrepreneurs espagnols que de jeunes artistes étrangers ambitieux et talentueux à la recherche de commandes lucratives. C’est dans une des églises les plus prestigieuses de la ville, celle des Oratoriens, la Chiesa dei Giralaminio di S. Maria della Nativita et tutti i Santi que l’on trouve la trace du seul exemplaire encore répertorié de nos jours dans cette cité. (Nos plus vifs remerciement au Professeur Riccardo Naldi qui nous a très aimablement informé de cette localisation.)
Notre Christ en croix inédit jusqu’à présent, serait donc actuellement le septième exemplaire répertorié réalisé par l’artiste (si l’on compte l’œuvre de Saragosse dont on ne connait pas de photographie, mentionnée précédemment par Estella Marcos).
Une étude comparative de ces œuvres permet de relever l’indéfectible qualité du matériau choisi (des défenses d’éléphant permettant la réalisation de figures d’une hauteur exceptionnelle, oscillant entre 70 et 90 cm) et une finesse d’exécution égale. Si la composition générale est reprise pour chaque figure, le détail de la chevelure, la forme du visage, le rendu des pupilles, l’ouverture de la bouche varient légèrement, contribuant à offrir à chacune de ses œuvres, le statut de chef-d’œuvre particulier. L’apparition sur le marché de l’art en 2024 d’une magnifique Immaculée Conception signée de l’artiste (préemptée par le musée du Louvre, Claude Beissonat, Vierge de l’Immaculée Conception, statuette en ivoire d’éléphant, signé « CLA.BEISSONAT.F.NEA », H. totale ; 59cm, n°inv. RFML.OA.2024.9.1 ) avait déjà permis de souligner une caractéristique majeure de l’activité du sculpteur : la répétition d’un modèle très prisé en raison de ses impacts émotionnel et dévotionnel très élevés, à travers l’exécution sérielle d’œuvres fort coûteuses réalisées à la demande. Cette Immaculée Conception correspondait en effet à une quatrième version connue issue d’un même modèle. La trace d’une commande à l’artiste datée de 1580 retrouvée dans les archives de Naples par I. Di Liddo avançait la colossale somme de 500 ducats versée à Beissonat pour la réalisation d’une de ces Immaculée Conception, probablement celle conservée au Museo degli Argenti à Florence (Claude Beissonat, Immaculée Conception, ivoire, H. 66,2 cm, Florence, Palazzo Pitti, inv.Bg Avori 1879 n°136).
Il s’agit donc de s’interroger sur l’engouement de l’élite espagnole de la Vice-Royauté de Naples pour ce prototype de Christ agonisant, « nec plus ultra » de l’objet de dévotion, comme en témoigne le petit corpus de Christs désormais répertorié. Dès les premières publications sur l’artiste, a été avancée l’influence des leçons romaines baroques d’Alessandro Algardi sur l’œuvre de Beissonat. Il a été précisément relevé que sa série de Crucifixions à l’impressionnante monumentalité était liée directement au Crucifix du bolonais présenté au Palazzo Pallavicini Rospigliosi à Rome. Aucun historien de l’art spécialiste du courant baroque romain n’ignore que le prototype du Christ vivant d’Alessandro Algardi a connu un succès quasi sans précédent dans l’histoire de l’iconographie de la Crucifixion, diffusé avec de nombreuses variantes dans toute l’Europe et dans les colonies par des générations de sculpteurs. Dans son récent article « Algardi e Napoli », l’historien de l’art Luigi Coiro soutient que la pénétration des modèles algardiens à Naples a été facilitée par le premier cercle de ses élèves – Guidi, Ferrata, Paolo Carnieri ou Girolamo Lucenti-. L’un d’entre eux pourrait être t l’auteur du Cristo vivo en bronze doré d’après le modèle du maître, que la famille Galeota acquit pour décorer sa chapelle familiale rénovée dans les années 1667/1680 dans la cathédrale de Naples. L’environnement artistique napolitain manifeste une absorption progressive du modèle de ce Christ vivant, spécialement dans la sculpture sur bois, comme en témoignent les Crucifix attribués à Nicola Fumo (1647-1725) en l’église San Giorgio Maggiore (ou ai Mannesi) ou celui attribué à Giacomo Colombo (vers 1662-1730) conservé en l’église Santa Maria della Platea à Genzano. L’article publié récemment par Adrian Contreras-Guerroro et Francesco de Nicolo (2017), ainsi que celui précédemment cité de Luigi Coiro ont surtout revalorisé une œuvre capitale dans la diffusion du prototype du Christ vivant de l’Algarde: le précieux crucifix en ivoire conservé au Musée d’État de Mileto. Son attribution à l’Algarde a longtemps fait débat mais il semblerait que les nouvelles recherches conjuguées à un nettoyage et une restauration permettent de reconsidérer aujourd’hui sérieusement la question de cette paternité. Certains chercheurs en venant même à se poser la question du prototype originel et de la possibilité d’en descendre la datation avant 1647.
Or cette œuvre actuellement conservée en Calabre était localisée à Naples jusqu’en 1851, date à laquelle l’évêque de Mileto, Filippo Mincione, la reçut du confesseur du roi de Naples Ferdinand IV de Bourbon, Monseigneur Giovanni Angelo Porta (1767-1835), l’évêque de Thermopyles. Bien qu’il ne soit pas possible, à l’heure actuelle, de savoir où le Crucifix attribué à l’Algarde se trouvait à l’origine, ni à partir de quelle date il est arrivé à Naples, cette œuvre apparait comme le vecteur le plus plausible de la leçon algardienne auprès de notre talentueux ivoirier. On ne peut exclure que Beissonat ait pu l’admirer directement dans la cité. Le sculpteur a su avec habileté répondre à la demande des personnages les plus puissants et fortunés de Naples en leur offrant la possibilité de posséder le Crucifix le plus prisé du moment. En emportant avec eux ces œuvres ou en les offrant en cadeaux diplomatiques ou en objets de vénération en Espagne, les commanditaires, vice-rois, gouverneurs, ecclésiastiques et nobles espagnols ont contribué à donner à Beissonat le statut de divulgateur majeur du modèle de l’Algarde dans tous les territoires sous domination espagnole à la fin du XVIIème siècle. La conservation de certains des exemplaires dans les collections royales d’Espagne ou des Grands duc de Toscane ainsi que la présence de sa signature au revers de ces œuvres, manifestent la place majeure de Beissonat parmi les artistes les plus en vue des sphères princières de l’époque.