Souvenir d’une Grâce – Gazette Drouot

11 novembre 2022
Gazette Drouot n°40
Caroline Legrand

Autrefois, cette sculpture veillait sur la chambre de Juliette Récamier, un lieu connu du Tout-Paris pour accueillir l’un des plus célèbres salons politiques et littéraires de l’époque.

Juliette Récamier (1777-1849) tenait son salon dans sa chambre à coucher. Cette pièce désormais célèbre, où le Tout-Paris passa, discuta et s’émerveilla, abritait un mobilier spécialement conçu à partir de 1798 par l’architecte Louis-Martin Berthault dans son hôtel particulier du 7 de la rue du MontBlanc (actuelle rue de la Chaussée d’Antin), acquis avec son époux le banquier JacquesRose Récamier. Un lieu précurseur devenu l’emblème des arts du Consulat, et même de l’Empire. De chaque côté de son lit aux cygnes de la maison Jacob, placées sur une estrade (aujourd’hui au Louvre), se trouvaient par exemple cette sculpture de Joseph Chinard, posée sur un socle en acajou de Jacob Frères, et la célèbre Torchère «à l’ananas» réalisée par l’architecte des lieux ainsi que par son maître, Charles Percier (60 000/80 000 €). Présentées prochainement à Fontainebleau, ces œuvres proviennent toutes deux des descendants directs de François-Dominique Mosselman (1754-1840). Ce banquier et homme d’affaires belge, également fournisseur des armées impériales pour le textile, rachète en 1808 la demeure des Récamier au moment où le couple connaît de grandes difficultés financières. S’il commande de nouveaux meubles, il laisse également une grande partie des lieux dans leur état originel. Ainsi la statue en marbre de Chinard restera-t-elle en place jusqu’à la mort de Madame Mosselman, d’après l’inventaire après décès daté de 1829. Retrouvé et identifié par les LedouxLebard en 1949, Le Silence sera dès lors régulièrement prêté lors d’expositions afin de perpétuer l’aura de Juliette Récamier. Cette sculpture ne fut-elle pas d’ailleurs conçue dans ce but ? Son auteur, qui ne la signa pas, la créa afin de l’intégrer à un décor et un mobilier glorifiant leur propriétaire. L’artiste prit comme modèle une œuvre antique figurant la prisonnière germanique Thusnelda. Épouse du chef de guerre Arminius, qui stoppa la conquête de la Germanie par les Romains, elle fut offerte par son père Ségeste – acquis à la cause de ces derniers – à Germanicus en signe de soumission. Une femme fière et courageuse qui n’est pas sans rappeler une certaine Julie Bernard, devenue la troublante et libre Juliette Récamier, l’une des «Trois Grâces» du Directoire avec Joséphine de Beauharnais et Madame Tallien. La jeune femme simplement âgée d’une vingtaine d’années vit défiler dans son salon les plus grandes figures littéraires, mais aussi politiques de son temps. Elle bascula bientôt dans l’opposition. Napoléon Bonaparte ne le lui pardonna pas et la condamna à l’exil.

 

DIMANCHE 4 DÉCEMBRE, FONTAINEBLEAU. OSENAT OVV. MME DE LA CHEVARDIÈRE, CABINET SCULPTURE & COLLECTION.

 

21 novembre 2022