LE DERNIER SOUFFLE DU CHRIST

Gazette Drouot n°18
Vendredi 09 mai 2025

Qu’un ivoire soit la pièce phare de l’Ivoire Live Tour, quoi de plus naturel ? Cet émouvant Christ de la Crucifixion, signé Claude Beissonat, ne manquera pas d’impressionner tant par ses dimensions que par sa technique d’une rare virtuosité.

C’est le nec plus ultra de l’objet de dévotion au XVIIe siècle. En plein cœur de la ContreRéforme, la figure du Christ en croix est devenue le symbole du catholicisme triomphant, mais aussi d’une religion plus humaine, son Sauveur étant représenté plus proche que jamais. À cette époque, l’art précieux de l’ivoire est à son apogée, et cette sculpture en est l’un des plus beaux témoignages. « Le choc face à la dimension de l’objet est immense, explique l’experte Élodie Jeannest. La défense d’éléphant dans laquelle est taillé ce Christ est colossale. » La technique d’exécution est parfaitement maîtrisée : à la pièce principale d’ivoire de 68,5 cm de hauteur ont été joints les deux bras grâce à des tenons. La croix, aujourd’hui disparue, a été remplacée par un panneau crucifix. Le corps classicisant, d’un beau réalisme, avec les côtes affleurant à la surface de la peau, s’oppose au style baroque du périzonium maintenu par une simple corde et aux plis virevoltants. À l’arrière du linge, Claude Beissonat a signé son ouvrage. Une première étude sur cet artiste méconnu a été produite en 1984 par Margarita Estella. Depuis, chaque découverte nous en apprend un peu plus sur ce Franc-Comtois d’origine, probablement de Saint-Claude dans le Jura (où l’ivoire était une tradition), mais actif en Espagne dans les années 1660-1670, puis à Naples dans le dernier quart du siècle. Ce fut le cas du groupe de l’Immaculée Conception , préempté à 215 915 € par le musée du Louvre le 29 mars 2024 à l’Hôtel Drouot (De Baecque et Associés OVV). Déjà remarquée dans ce dernier, la répétition d’un modèle baroque romain par Beissonat se reproduit ici. Ainsi, le prototype de cette sculpture est le Christ vivant d’Alessandro Algardi, qui connut un immense succès et une large diffusion, dans laquelle Beissonat joua visiblement un rôle important. Celui-ci a pu admirer une version de cette œuvre, en ivoire, aujourd’hui au Museo Statale de Mileto, en Calabre, mais conservé jusqu’en 1851 à Naples. Il s’en est inspiré pour répondre aux prestigieuses commandes de princes ou de prélats napolitains, désireux d’avoir une image de cette célèbre sculpture italienne pour l’offrir en cadeau diplomatique ou l’emporter comme objet de dévotion en Espagne puis dans le Nouveau Monde. Notre Christ, inédit, est le septième de ce type sculpté par Beissonat, les autres étant conservés notamment au Monasterio de la Encarnación à Madrid ou au Palazzo Pitti de Florence. Mais, à ce modèle, notre sculpteur a su « mettre sa patte, conclut Élodie Jeannest, par la coiffure très travaillée, le mouvement du périzonium ou encore l’expressivité du visage renforcée par la bouche ouverte, rendant son dernier souffle, dans laquelle on aperçoit les dents et la langue taillés avec une grande dextérité grâce à un trou creusé au revers de la tête. »

Claude Beissonat (actif dans le dernier quart du XVII e siècle), Christ de la Crucifixion de type « Cristo vivo », en ivoire (Elephantidae SPP), signé « CLAUDIUS BEISSONAT F » derrière le périzonium, h. 82 cm (avec les bras), 6,750 kg. Estimation : 30 000/50 000 €

Angers, Ivoire – Deloys – de la Perraudière – d’Oysonville OVV. Cabinet Lacroix – Jeannest.

19 mai 2025