L’amour maternel selon Auguste Rodin – Gazette Drouot
11 novembre 2022
Gazette Drouot n°40
Philippe Dufour
Cet émouvant groupe de bronze ayant connu une grande notoriété dans les années 1880-1890, portée par les meilleurs fondeurs, évoque aussi le projet le plus ambitieux du maître.
Seul Auguste Rodin pouvait célébrer avec autant de force l’amour maternel, un thème éternel qu’illustre notre sculpture où l’on voit une mère et son jeune enfant lovés dans une cavité protectrice… L’œuvre aux formes sensuelles est connue comme la Jeune mère à la grotte, mais aussi sous d’autres appellations, telles que Jeune mère, Caresse maternelle, Femme et enfant dans une grotte ou encore Coquille femme et enfant. Le modèle de ce haut-relief en bronze à patine noire a été imaginé vers 1885 ; cependant, bien qu’apprécié depuis pour lui-même, le groupe s’inscrivait à l’origine dans le projet le plus fou élaboré par le grand sculpteur : la Porte de l’Enfer. Commandé par l’État français en 1880, l’ensemble monumental devait illustrer des scènes de La Divine Comédie de Dante Rodin y travaille avec passion tout au long de la décennie suivante, avant de l’abandonner autour de 1889. Mais cette œuvre inachevée, pour laquelle ont été modelées plus de deux cents figures (dont le légendaire Penseur), devait constituer pour le sculpteur une formidable source d’inspiration, où il puisera la plupart des sujets développés jusqu’à sa disparition. La Jeune mère à la grotte a donc fait partie, elle aussi, de la célèbre Porte, comme en attestent des photographies anciennes (aujourd’hui au musée Rodin), où on peut la repérer en haut du pilier gauche du monument. Parallèlement, elle débute une belle carrière en solo en février-mars 1886, par une exposition à la galerie Durand Ruel, sous le titre Femme et l’amour.
Fonte précoce pour vente tardive
Très vite, Maurice Fenaille , le mécène le plus important d’Auguste Rodin, lui commande une version en marbre de la Jeune mère. Dès lors, le grand plasticien va décliner sa sculpture dans différents matériaux et tailles, livrant de nombreux artefacts que l’on retrouve aujourd’hui dans les musées du monde entier… Naturellement, plusieurs plâtres existent, dont ceux de 1885 – sans doute parmi les premières versions du groupe –, conservés au musée Rodin à Paris et au Victoria and Albert Museum de Londres. Des marbres, donc, sont aussi tirés de cette maternité moderne, à l’image du haut-relief de 1891, exposé désormais au Philadelphia Museum of Art. Les versions en bronze – un médium qui permet à Rodin de diffuser plus largement son œuvre – constituent probablement le corpus le plus important. Côté fabrication, dès 1887, Rodin va confier sa Jeune mère à deux ateliers de fonte : Griffoul et Lorge, et François Rudier, avant de faire appel à d’autres spécialistes, les Gruet et Léon Perzinka. Obtenu par une fonte au sable, l’exemplaire présenté ici ne porte pas les cachets de fondeurs ; mais on peut supposer qu’il est l’œuvre de Griffoul et Lorge, ou de François Rudier, tous connus pour l’emploi de ce procédé. Demeuré longtemps en possession d’Auguste Rodin, ce n’est qu’en 1916 que notre haut-relief devait être acquis par le collectionneur Jean Paisseau, directement auprès du vieux maître. Et depuis son achat, le bronze a été précieusement conservé dans sa descendance.