La Gazette Drouot : Enquête en terre de bronze

Le 10 octobre 2019, par Anne Doridou-Heim

Qui a exécuté avec tant de brio le buste de Paul Phélypeaux, et quand La réponse est le fruit d’une longue enquête des experts Alexandre Lacroix et Élodie Jeannest de Gyvès. Autorité de l’ombre.

L’attribution d’un bronze ancien non signé se révèle souvent un travail de longue et patiente haleine. Mais rares sont les cas comme celui de ce buste de Paul Phélypeaux. Là, c’est à une véritable enquête, dans les archives nationales et familiales d’époque sans oublier dans l’histoire de la technique du bronze, que les experts se sont livrés. Le jeu en valait la chandelle : l’objet est exceptionnel et aucun des deux fins limiers du cabinet Sculpture et Collection, non plus que Géraldine d’Ouince de la maison de Baecque, ne regrettent un seul instant les mois de recherches intensives. Ce bronze, ils le «portent» vraiment. Enfin, au sens figuré, parce qu’au sens propre, il représente tout de même plus de 80 kg ! S’ils le présentent aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont le sentiment du devoir accompli ; non pas la certitude absolue d’avoir tout trouvé, mais celle d’avoir réuni un faisceau d’indices suffisamment solide pour avancer une attribution et une date d’exécution. Le nom qui est sorti n’est autre que celui d’un certain Francesco Bordoni (vers 1574-1654). C’est par hasard, lors d’un inventaire dans une maison ancienne sans artifice, que Géraldine d’Ouince voit la sculpture, posée en hauteur sur un banal meuble de style Louis XIII. Au premier regard, la figure paraît trop belle pour être vraie, et elle pense «plutôt à un bronze de théâtre du XIXe, dans l’esprit de ceux du XVIIesiècle».

Prendre de la hauteur
Tout de même, ce buste en impose, mieux vaut le descendre pour l’étudier… patatras, le meuble s’effondre alors, ayant perdu son centre de gravité ! Apparaît ainsi une plaque en cuivre, gravée du nom de l’homme du portrait, Paul Phélypeaux, seigneur de Ponchartrain, et d’une date, 1610. Cette identification formelle invite à une plongée dans l’histoire d’un grand commis de l’État. Très vite, son parcours se révèle essentiel (voir page 6), mais n’apporte malheureusement aucune trace de commande. «La lecture de ses mémoires, débutées lors de sa prise de fonction de secrétaire d’État, trois semaines avant l’assassinat du roi Henri IV, dessine l’image d’un homme humble, pétri du sens des responsabilités, qui abandonnera l’administration des finances pour se consacrer au maintien de la paix religieuse», explique Élodie Jeannest de Gyvès. «Jamais il n’emploie le “je”, alors que tout indique qu’il est vraiment au cœur du pouvoir.» Difficile de croire qu’il ait choisi lui-même de se faire portraiturer, d’autant que «l’inventaire dressé après son décès dans son domaine nouvellement acquis de Pontchartrain ne fait état d’aucune pièce semblable, seulement de tapisseries de prix et de meubles massifs, à l’instar du mobilier de château de ces premières années du XVIIesiècle». C’est donc vers la possibilité d’une commande de sa veuve pour orner son tombeau que les recherches se tournent. L’exploitation d’un grand nombre de documents inédits conforte les experts : «Courant sur plus d’un siècle, ces archives consultées dans les plus grandes bibliothèques nationales et régionales permettent de dévoiler, étape par étape, le lieu de conservation originel de l’œuvre.» Puis, grâce à d’autres dépouillements et avec un même enthousiasme, seront retracées «ses localisations successives sur une période de quatre cents ans». Juste après le décès de son époux, Anne de Beauharnais, dame de Ponchartrain, demande aux chanoines de la paroisse prestigieuse de Saint-Germain-l’Auxerrois l’autorisation de faire ériger un tombeau dans la chapelle des Trépassés. Le 17 novembre de cet an 1621, un acte de concession est signé. Ce lieu étant celui que les grands du Royaume élisent pour leur repos éternel, la place y est très chère ; Alexandre Lacroix rapporte que «la duchesse de Longueville a financé en 1616 pour mille cinq cent livres tournois l’exécution d’un ange en bronze, en échange d’une concession». On imagine l’importance de Paul Phélypeaux pour qu’un tel accord soit donné sans délai… Mais, pourquoi avoir choisi le bronze ? De fait, précisent d’une même voix les deux experts, «le marbre est alors le matériau de loin le plus usité, et ce pour plusieurs raisons. La mode française n’est pas encore au bronze venu d’Italie, les coûts de production sont plus élevés et la technique de la fonte n’est pas parfaitement maîtrisée dans les ateliers parisiens, surtout pour des pièces de grande ampleur». L’exécution de ce buste dans ce matériau atteste donc de sa réalisation par un artiste l’ayant déjà pratiqué et le domptant. Ce qui dirige les regards au-delà des Alpes. «Les archives se révèlent généreuses. Elles nous apprennent qu’en 1694 et 1696, des travaux de modernisation de la chapelle sont confiés à Robert de Cotte, et nous ne pouvons qu’être reconnaissants envers cet architecte d’avoir fixé par des dessins la situation existante, dont l’Élévation du Monument des Phélypeaux, dévoilant dans sa partie haute le buste en question» (voir photo ci-dessous). Le voici donc tel «un homme à la physionomie altière d’une quarantaine d’années, portant cheveux courts et barbe, vêtu d’un costume sobre, avec une fraise dite «molle» permettant de travailler, son gilet «à crevés» et un manteau à l’ample mouvement, comme simplement jeté»… En parallèle, le petit-fils de Paul Phélypeaux, Louis II, digne héritier ayant grimpé les échelons du pouvoir jusqu’à être nommé chancelier et garde des Sceaux en 1699, finalise de grands travaux d’embellissement de la demeure familiale de Ponchartrain, afin qu’elle soit à la hauteur de son rang. Il fait alors déposer le buste pour l’y emporter. Nouveau fait attesté, puisque «s’il est absent lors de l’inventaire des biens du château de 1689, il est mentionné dans celui établi après le décès de la chancelière, le 24 avril 1714 et, détail d’importance, avec mention de la plaque de cuivre au dos», précise Alexandre Lacroix. Ce transport s’avère des plus heureux : grâce à lui, le bronze a échappé aux fontes louis-quatorziennes. Il a rejoint une collection d’une extraordinaire qualité, assemblée par ce ministre haut placé, ami des arts et, par son poste, contrôleur des différentes académies. Il y est apparié avec un buste en bronze représentant Henri IV : l’homme d’État retrouve le roi qui a récompensé sa fidélité et «prend un nouveau statut». Lorsque Charles Perrault publie sa désormais célèbre biographie des Hommes illustres qui ont paru en France pendant le XVIIe siècle (1696), c’est Gérard Edelinck qui grave la figure pour illustrer la fiche de Paul Phélypeaux. Pour ce faire, il s’inspire du buste, «omettant cependant le grain de beauté sur la joue gauche, preuve de la grande probité du sculpteur», s’amuse Alexandre Lacroix.
Tout de même, ce buste en impose, mieux vaut le descendre pour l’étudier… patatras, le meuble s’effondre alors, ayant perdu son centre de gravité ! Apparaît ainsi une plaque en cuivre, gravée du nom de l’homme du portrait, Paul Phélypeaux, seigneur de Ponchartrain, et d’une date, 1610. Cette identification formelle invite à une plongée dans l’histoire d’un grand commis de l’État. Très vite, son parcours se révèle essentiel (voir page 6), mais n’apporte malheureusement aucune trace de commande. «La lecture de ses mémoires, débutées lors de sa prise de fonction de secrétaire d’État, trois semaines avant l’assassinat du roi Henri IV, dessine l’image d’un homme humble, pétri du sens des responsabilités, qui abandonnera l’administration des finances pour se consacrer au maintien de la paix religieuse», explique Élodie Jeannest de Gyvès. «Jamais il n’emploie le “je”, alors que tout indique qu’il est vraiment au cœur du pouvoir.» Difficile de croire qu’il ait choisi lui-même de se faire portraiturer, d’autant que «l’inventaire dressé après son décès dans son domaine nouvellement acquis de Pontchartrain ne fait état d’aucune pièce semblable, seulement de tapisseries de prix et de meubles massifs, à l’instar du mobilier de château de ces premières années du XVIIesiècle». C’est donc vers la possibilité d’une commande de sa veuve pour orner son tombeau que les recherches se tournent. L’exploitation d’un grand nombre de documents inédits conforte les experts : «Courant sur plus d’un siècle, ces archives consultées dans les plus grandes bibliothèques nationales et régionales permettent de dévoiler, étape par étape, le lieu de conservation originel de l’œuvre.» Puis, grâce à d’autres dépouillements et avec un même enthousiasme, seront retracées «ses localisations successives sur une période de quatre cents ans». Juste après le décès de son époux, Anne de Beauharnais, dame de Ponchartrain, demande aux chanoines de la paroisse prestigieuse de Saint-Germain-l’Auxerrois l’autorisation de faire ériger un tombeau dans la chapelle des Trépassés. Le 17 novembre de cet an 1621, un acte de concession est signé. Ce lieu étant celui que les grands du Royaume élisent pour leur repos éternel, la place y est très chère ; Alexandre Lacroix rapporte que «la duchesse de Longueville a financé en 1616 pour mille cinq cent livres tournois l’exécution d’un ange en bronze, en échange d’une concession». On imagine l’importance de Paul Phélypeaux pour qu’un tel accord soit donné sans délai… Mais, pourquoi avoir choisi le bronze ? De fait, précisent d’une même voix les deux experts, «le marbre est alors le matériau de loin le plus usité, et ce pour plusieurs raisons. La mode française n’est pas encore au bronze venu d’Italie, les coûts de production sont plus élevés et la technique de la fonte n’est pas parfaitement maîtrisée dans les ateliers parisiens, surtout pour des pièces de grande ampleur». L’exécution de ce buste dans ce matériau atteste donc de sa réalisation par un artiste l’ayant déjà pratiqué et le domptant. Ce qui dirige les regards au-delà des Alpes. «Les archives se révèlent généreuses. Elles nous apprennent qu’en 1694 et 1696, des travaux de modernisation de la chapelle sont confiés à Robert de Cotte, et nous ne pouvons qu’être reconnaissants envers cet architecte d’avoir fixé par des dessins la situation existante, dont l’Élévation du Monument des Phélypeaux, dévoilant dans sa partie haute le buste en question» (voir photo ci-dessous). Le voici donc tel «un homme à la physionomie altière d’une quarantaine d’années, portant cheveux courts et barbe, vêtu d’un costume sobre, avec une fraise dite «molle» permettant de travailler, son gilet «à crevés» et un manteau à l’ample mouvement, comme simplement jeté»… En parallèle, le petit-fils de Paul Phélypeaux, Louis II, digne héritier ayant grimpé les échelons du pouvoir jusqu’à être nommé chancelier et garde des Sceaux en 1699, finalise de grands travaux d’embellissement de la demeure familiale de Ponchartrain, afin qu’elle soit à la hauteur de son rang. Il fait alors déposer le buste pour l’y emporter. Nouveau fait attesté, puisque «s’il est absent lors de l’inventaire des biens du château de 1689, il est mentionné dans celui établi après le décès de la chancelière, le 24 avril 1714 et, détail d’importance, avec mention de la plaque de cuivre au dos», précise Alexandre Lacroix. Ce transport s’avère des plus heureux : grâce à lui, le bronze a échappé aux fontes louis-quatorziennes. Il a rejoint une collection d’une extraordinaire qualité, assemblée par ce ministre haut placé, ami des arts et, par son poste, contrôleur des différentes académies. Il y est apparié avec un buste en bronze représentant Henri IV : l’homme d’État retrouve le roi qui a récompensé sa fidélité et «prend un nouveau statut». Lorsque Charles Perrault publie sa désormais célèbre biographie des Hommes illustres qui ont paru en France pendant le XVIIe siècle (1696), c’est Gérard Edelinck qui grave la figure pour illustrer la fiche de Paul Phélypeaux. Pour ce faire, il s’inspire du buste, «omettant cependant le grain de beauté sur la joue gauche, preuve de la grande probité du sculpteur», s’amuse Alexandre Lacroix.

Le chemin vers Bordoni
L’origine du bronze définie, reste à attester celle de son auteur. Le travail de fourmi continue, mais déjà le choix du bronze et la situation du mausolée à Saint-Germain-l’Auxerrois ont livré leurs premiers indices. Le matériau va parler à nouveau. Son analyse, par une restauratrice diplômée de l’Istituto Centrale del Restauro de Rome, détaille une fonte à la cire perdue à partir de la prise d’une empreinte sur un modèle ; d’ailleurs, «des restes du noyau sont encore visibles sur la face interne du bronze», précise l’expert, qui ajoute encore : «le plus impressionnant est son épaisseur d’environ 0,8 cm». La composition et la ciselure à froid sont deux arguments nouveaux. «Le buste est réalisé en bronze quaternaire, avec un très fort pourcentage de cuivre», un alliage similaire à celui du buste de Louis XIII du musée du Louvre, dont l’auteur avéré est Francesco Bordoni (vers 1574-1654). Ce nom n’était pas le premier auquel les experts avaient pensé, mais «après avoir éliminé les disparus, dont Barthélémy Prieur et Pierre de Franqueville, ceux qui étaient absents de France, comme Jacques Sarrazin, et ceux dont le savoir-faire était un peu rigide et par trop décoratif, Barthélémy Tremblay et Hubert Le Sueur par exemple, très peu de sculpteurs susceptibles d’avoir pu commettre une telle œuvre subsistaient, et cette possibilité de Bordoni, un artiste venu de Florence à la demande de Marie de Médicis, s’est imposée». À partir de là, le fil rouge s’est rapidement dévidé. Disciple préféré de Pierre de Franqueville, Francesco Bordoni arrive à Paris avec son maître en 1602. «Très vite, il reçoit des commandes royales, réside aux Tuileries et… devient paroissien de Saint-Germain-l’Auxerrois.» Ses liens avec cette église ne s’arrêtent pas là : «Il s’y marie, y fait baptiser son fils et collabore avec son maître et d’autres aux travaux d’embellissement, tout cela dans les années 1610.» Sa réputation de grand ciseleur n’est plus à écrire : «Il affectionne le ciselé mat qui justement donne tant de majesté à ce buste.» Proximité des deux hommes se côtoyant certainement sur les bancs de la même église et appréciés de deux rois et d’une reine ; solide expérience dans l’art du portrait ; approche scientifique du matériau et observation stylistique correspondant aux œuvres documentées du Florentin, notamment «cette épaisseur inhabituelle du métal, les boucles au naturel de la chevelure, le dessin des pupilles et des iris délicatement repris par petits points qui se retrouvent comme une discrète signature sur le bronze de Louis XIII» : autant de constantes qui rapprochent le modèle de son maître. Par prudence cependant, l’œuvre ne lui est qu’attribuée. Son corpus identifié avec certitude est assez restreint. Tout laisse penser qu’il pourrait s’étoffer de ce portrait de haute volée.

 

FRANCESCO BORDONI
EN 5 ŒUVRES

Vers 1613
Ange en bronze réalisé pour la balustre du chœur de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois (aujourd’hui à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris).

1618
Les quatre captifs du piédestal de la statue équestre d’Henri IV du Pont-Neuf, bronzes (achèvement de la commande reçue par Pierre Franqueville), musée du Louvre.

1626
Tombeau de la bienheureuse sœur Marie de l’Incarnation, marbre (offert par la reine Marie de Médicis), pour le Carmel de Pontoise ; les deux statues funéraires subsistantes sont conservées l’une au Carmel de Pontoise, l’autre dans celui de Créteil.

1633
Le retable de la chapelle de la Trinité au château de Fontainebleau, en marbre rehaussé de bronze doré, avec les statues de Charlemagne sous les traits d’Henri IV et de Saint-Louis sous ceux de Louis XIII et quatre anges.

Vers 1640-1643
Louis XIII, roi de France, bronze. Paris, musée du Louvre.

20 octobre 2021