Attribué à Jean-Baptiste II LEMOYNE (1704-1778)

Un chasseur qui représente Narcisse rencontrant l’eau

Marbre blanc
Circa 1746
Hauteur du socle 18,5 cm
Socle tournant d'époque Louis XVI en marbre blanc veiné de gris, marbre gris et rehauts d'or.
Petits accidents et manques

Hauteur: 59 cm

Collection particulière française, début du XXe siècle

Estimation : 30.000 – 50.000 €

Prix au marteau : 85.000 €

Littérature en rapport :• Gaston LE BRETON, Le Sculpteur Jean-Baptiste Lemoyne et l'Académie de Rouen, Paris, Plon et Cie, 1882.
• Stanislas LAMI, Dictionnaire des sculpteurs de l'école française au XVIIIe siècle, t. II, Paris, 1911.
• Louis RÉAU, Une dynastie de sculpteurs au XVIIIe siècle, Les Lemoyne, L'Art Français, Paris, Daupeley-Gouverneur, 1927.
• François SOUCHAL, «Le regard oblique Jean-Baptiste Lemoyne», FMR, n°66, février 1997.

Au Salon de 1746, sous le n° 51, Lemoyne présente une esquisse en terre sous un titre précis et singulier: Un chasseur qui représente Narcisse rencontrant l’eau. Lemoyne rend compte ici du passage exact du texte des Métamorphoses d’Ovide. Ce titre n’en demeure pas moins singulier dans le sens où il est particulièrement disert pour un sujet somme toute assez courant. Le sculpteur met en avant de manière inhabituelle la condition de chasseur du héros mythologique. En sculpture, le choix iconographique de Narcisse est davantage un prétexte pour représenter un idéal de beauté masculine que l’occasion d’illustrer les attributs de la chasse. En outre, Lemoyne insiste sur le fait qu’il met en scène le moment précédent l’autosatisfaction de Narcisse contemplant son beau reflet: «…Narcisse rencontrant l’eau».

Notre sculpture correspond en tous points au titre choisi par Lemoyne: Narcisse, accompagné d’un chien de chasse, est entouré des attributs du chasseur – cor, arc, carquois rempli de flèches; il surgit de derrière les rochers et semble découvrir la source qui coule à ses pieds.

Nous proposons ainsi d’attribuer cet important groupe, d’une très grande qualité, au ciseau de Jean-Baptiste II Lemoyne. Il s’agirait de la version inédite en marbre de l’esquisse du salon de 1746.

Si l’esquisse en terre est répertoriée à plusieurs reprises dans la littérature sur l’artiste, la version en marbre n’est qu’évoquée par Louis Réau dans son ouvrage sur les Lemoyne. A l’occasion du chapitre consacré aux oeuvres disparues du sculpteur (p. 154, n°19), il mentionne en effet un Narcisse qui ne semble pas être la très petite esquisse en terre du Salon, puisque l’oeuvre en question est répertoriée dans la sous-partie «oeuvres monumentales» (cette sous-partie paraît inclure toute la production qui se distingue des bustes, y compris basreliefs et médaillons).Jean-Baptiste II Lemoyne, issu d’une famille de sculpteurs, est l’élève de son père Jean-Louis (1665-1755), de son oncle Jean-Baptiste Ier (1679-1731), ainsi que de l’illustre sculpteur de Versailles, Robert Le Lorrain (1666-1743). Agréé à l’Académie Royale de Sculpture en 1728, il expose au Salon entre 1737 et 1771, est reçu académicien en 1738, et accède à la fonction de professeur en 1744. Dans la seconde moitié des années 1740, Lemoyne occupe certes déjà des fonctions importantes, mais n’est encore qu’au début de la grande carrière qui le verra devenir le portraitiste officiel de Louis XV.

Dans ce contexte, il est intéressant de noter qu’au-delà de son format, notre marbre, présente toutes les caractéristiques exigées par l’exercice particulier qu’est le «morceau de réception à l’Académie»: Lemoyne semble ici vouloir faire étalage de toute sa virtuosité. Ainsi, le sculpteur propose tout à la fois dans une même composition pyramidale: une académie masculine, savante et précise, d’une attitude sophistiquée, pleine de grâce et de légèreté; un beau drapé baroque, dynamique et architecturé et un ensemble d’éléments (roche, eau, faune et flore) disposés avec rigueur et rythme, adroitement traités par différents effets de matières à la surface du marbre.

Lafont de Sainte-Yenne remarque le Narcisse au Salon et en rend compte dans ses Réflexions: «… Quoi qu’il soit extrêmement croqué, tout y est feu et génie…»; il est aussi certainement admiré par un amateur, qui pourrait alors avoir passé commande d’une version en marbre au sculpteur en pleine ascension.

Notre marbre a été exécuté dans le deuxième tiers du XVIIIe siècle. Son style s’inscrit dans le courant rocaille dont l’apogée en France se situe entre les années 1730 et 1750. La gestuelle et le type du personnage qui empruntent au baroque italien les manières du Bernin; le goût pour les postures instables et tournoyantes, la belle présence de l’eau qui s’écoule des rochers et ruisselle sur la base ainsi que les nombreux attributs qui ponctuent la composition sont caractéristiques des codes de l’art rocaille.

Certains passages de notre marbre, tels que les fines mains aux doigts, le long cou de Narcisse, son menton pointu, ce regard presque oblique et cette gestuelle du bras qui s’échappe et suspend le mouvement avec évanescence, sont typiques du ciseau de Jean-Baptiste Lemoyne, la filiation de l’artiste et les leçons de ses maîtres ne sont pour autant pas loin et l’on remarque un certain morphotype masculin très proche de l’Hippolyte mourant de son père ou de l’Adonis de Le Lorrain.

Si rares sont les groupes mythologiques isolés d’un programme architectural sculptés dans le marbre par Lemoyne dans les années 1730-1740, c’est sans doute en raison de la tournure de portraitiste officiel auprès de Louis XV que prend alors sa carrière. Dans ce corpus d’oeuvres (Nymphe couchée de 1737, Naïade de 1738, Hercule couché tenant les pommes des Hespérides de 1738) notre marbre s’inscrit dans une lignée de choix iconographiques toujours plaisants, évitant la violence de certains sujets mythologiques. On retrouve ici la grâce et l’incarnation d’un certain idéal, une originalité et un équilibre souvent loués par les commentateurs de l’oeuvre de Lemoyne.

1 Dans la vente des 28-29 septembre 2015 chez Christie’s Paris, une figure de Narcisse est attribuée à Jean-Baptiste II Lemoyne: Elle ne correspond pourtant pas à la description de l’oeuvre créée par Lemoyne en 1746, puisque Narcisse n’est pas représenté enchasseur.

 

10 juin 2016 Ferri - Paris Drouot Richelieu - Salle 10-16 - 14h
Voir le diaporama