Ecole de Trapani, probablement Atelier d'Andrea Tipa (1725-1766)

Cléopâtre et Lucrèce ( ou Didon) à l’agonie

Première moitié du XVIIIème siècle
Paire de statuettes en ivoire sculpté
Bases en marbre rouge, bois doré et peint façon marbre incrustée de perles de corail, Ecole de Trapani, H :7,5 et 7,4 cm

H : 23,6 et 23,5 cm

Collection particulière lyonnaise. Par descendance.

Estimation : 15.000/20.000 €

Prix au marteau :

Littérature en rapport :-G.M. Di Ferro, Biografia degli uomini illustri trapanesi dall’epoca normanna sino al corrente secolo, tomo Il, Trapani 1830.
- H.R. Weihrauch, « Hanns Georg Fux. Elfenbeinischnitzer und Bildhauer in Straubing », in Straubing Hefte ,18. Jubiläumsjahr, 1968 ;
- C. Theuerkauff, Die Bildwerke in Elfenbein des 16.-19. Jahrhunderts, Staatliche Museen, Preussischer Kulturbesitz ,Berlin, 1986.
- M. C. Concetta di Natale ( a cura di), Materiali preziosi dalla terra e dal mare nell’ arte trapanese e della Sicilia occidentale tra il XVIII e il XIX secolo, catalogo mostra Trapani, Museo Regionale « A. Pepoli », 15 febbraio-30 settembre 2003 ;
-Fischer, Grosse Kunst in Kleinem Format. Kleinplastiken im Württembergischen Landesmuseum Stuttgart. Auswahlkata- log, Stuttgart, Württembergisches Landesmuseum, 2004 ;
-E. D.Schmidt, Das Elfenbein der Medici,Hirmer, Munich, 2012 ;
-M. Trusted, Baroque & later ivories, Victoria & Albert Museum, V&A publishing, Londres, 2013 ;
- E. D. Schmidt, Maria Sframeli, Diafane passioni ; Avori barocchi dalle corti Europee, Firenze Musei, Sillabe, 2013.

Parmi les œuvres les plus prisées de l’époque baroque, les sculptures en ivoire de petit format offrent, par leur sujet et leur dimension, le double avantage d’une grande qualité technique et d’une charge émotionnelle et sensuelle très forte.
Conçues pour être en paire, nos deux statuettes témoignent de ces atouts en représentant les plus célèbres héroïnes des temps antiques : Cléopâtre et probablement Lucrèce ou Didon à l’instant fatidique de leurs agonies.
La reine égyptienne tient fermement dans sa main l’aspic qu’elle a approché de son sein gauche. La statuette qui lui fait pendant ne présente, elle, aucun attribut. Néanmoins, il pourrait s’agir de Didon, la fondatrice légendaire et première reine de Carthage. Elle partage avec Cléopâtre un même destin tragique, celui d’avoir vécu une relation amoureuse intense qui s’est achevée par un suicide. Dans L’Enéide Virgile raconte qu’une fois abandonnée par Enée, Didon se donne la mort avec l’épée que le prince troyen lui a laissée en cadeau. Une autre reine promise au suicide pourrait également avoir été choisie comme compagne éplorée de Cléopâtre : il s’agit de Lucrèce. La vertueuse épouse du noble Lucius Tarquinis Collatinius, victime d’un viol par le roi de Rome, préfère se donner la mort en se poignardant plutôt que de déshonorer l’honneur de la famille de son mari.
Faut-il ainsi y voir l’association des deux reines, Cléopâtre et Didon, offrant le témoignage tragique d’un amour humain dévastateur faisant contrepoint aux nombreuses images de martyres de saints se sacrifiant par amour divin ? Ou bien est-ce une confrontation voulant jouer d’une opposition morale entre Lucrèce représentant la vertueuse femme romaine face à la licencieuse Cléopâtre, image à l’époque baroque de la luxure ?. N’est-ce pas cette dernière hypothèse que voudrait suggérer l’aspic aux formes étonnamment proches d’un monstre infernal aux dents acérées ?
Toujours est-il que les mains levées, la tête renversée vers l’arrière et les yeux révulsés, toutes deux poussent un même cri de douleur et d’effroi. Cette disposition répond au goût de la symétrie pittoresque et des oppositions complémentaires chères à l’époque baroque.

Et cette association féminine est un sujet de prédilection d’un certain nombre d’artistes germaniques et autrichiens excellant dans l’art de la sculpture en matériaux précieux au XVIIème siècle ; ainsi la paire en ambre exécutée par Christoph Maucher (1642-1702) (vers 1690/1700, H. :21,8 et 22 cm, Kunsthistoriches Museum, Vienne, n°inv. Kunstkammer 7993), la Cléopâtre en ivoire exécutée par Adam Lenckhardt (1610-1661) (vers 1632-1635, H.24,3 cm, Walter Arts Museum, Baltimore, N°inv. 71.416,), enfin, Cléopâtre et Lucrèce réalisées par Justus Glesker (1610/20-1678) (vers 1650, H. :32 cm, Bayerisches Nationalmuseum, Munich, N°inv.R.4715 et 4716).

L’extrême qualité d’exécution des figures invite à reconnaitre la main d’un très grand artiste. D’après des documents photographiques, le professeur Dr. Alain Jacobs nous propose cette description critique : « Dans ces deux statuettes finement ciselées, on révélera la justesse de ton dans l’expression des deux visages et dans la posture des deux corps qui se raidissent alors que la vie les abandonne. La beauté sensuelle des deux reines dévêtues contraste avec le rictus macabre des bouches ouvertes qui laissent apparaître les dents. Les mains sont d’une grande délicatesse, les coiffures traitées avec grande minutie. Mais ce qui singularise principalement ces deux œuvres, est le traitement extraordinaire des draperies. Jetées sur les épaules, ces dernières descendent de la gauche le long du corps en une multitude de profonds plis chiffonnés et onduleux jusqu’à la taille qu’elles enserrent. Elles tombent ensuite dans une même avalanche d’ourlets mouvants le long d’une jambe qu’elles couvrent jusqu’au pied. Cette agitation quasi organique des tissus participe au pathos des deux reines désespérées tout en soulignant la douceur et la sensualité de leur corps ».

Certains rapprochements, tant iconographiques que stylistiques, avec des œuvres des sculpteurs de la sphère germanique de la seconde moitié du XVIIème existent, mais sans pouvoir conforter, à ce stade de la recherche, une attribution. Le traitement complexe des draperies peut notamment rapprocher l’œuvre de la production de l’artiste tyrolien Hans Georg Fux (1661-1706) (voir la Vierge à l’Enfant écrasant le serpent, ca 1700, ivoire, H. : 24,5 cm, Stuttgart, Württembergischen Landesmuseum,N°inv. 1985-19) ou encore de celle de Jakob Auer (1645-1706) (voir Apollon et Daphné, H.43,9 cm, vers 1688/90, Kunsthistorisches Museum, Vienne, n°inv. KK4537), mais pas le traitement des visages, ni le rendu plus classique de ses compositions.

Soufflée par la présence des élégantes bases en marbre rouge, témoins exceptionnels de l’Ecole de Trapani, l’idée d’une production italienne du début du XVIIIème siècle est à considérer également. Cette manière originale et vibrante de représenter le plissé des draperies ainsi que l’expression manifeste du pathos des figures répondent en effet à une nette évolution de l’expression baroque au tournant du XVIIème et du XVIIIème siècle qui se manifeste nettement dans la sphère italienne, et précisément dans des ateliers du Sud de l’Italie et de la Sicile.

Parmi ces derniers, l’atelier de la famille Tipa a attiré notre attention : on ne peut qu’être troublé des affinités stylistiques, tant dans le traitement du drapé que du traitement du visage, entre nos deux œuvres et le Saint Sébastien donné à l’atelier Tipa et conservé au Musei degli Argenti à Florence. On trouve encore ces mêmes tension et exubérance dans la représentation de l’Ecce Homo en albâtre rose attribué à Alberto Tipa (1732-1783) (Mazara del Vallo, Museo Diocesano). Ou ce pourrait-il que leur auteur soit Andrea Tipa (1725-1766),frère d’Alberto, dont l’activité tant dans la sculpture monumentale que dans la sculpture de petit format était particulièrement reconnue ? Outre le même équilibre entre tension et exubérance, le soin donné aux détails, la sophistication des drapés, la richesse des bases, L’Immaculé Conception en albâtre qui lui a été attribuée foule un serpent dont la représentation est similaire à l’aspic de notre Cléopâtre. Tous ces éléments partagés pourraient bien être la signature de cet artiste sicilien.

L’étude approfondie des œuvres de l’atelier des Tipa, d’Andrea particulièrement, et de sa sphère d’influence pourrait, à termes, aider à lever le voile sur la mystérieuse identité de l’auteur de nos deux chefs d’œuvres.

 

Nous remercions le Professeur Dr Alain Jacobs pour son aide apportée aux recherches et à la rédaction de cette notice.

 

Spécimen dit pré-convention antérieur à 1947. Son utilisation commerciale dans l’UE est permise ainsi que sur le territoire national français conformément à l’arrêté ministériel du 4 mai 2017, relatif à l’interdiction du commerce de l’ivoire d’éléphants et de la corne de rhinocéros.

En revanche une demande de CITES de ré-export sera nécessaire pour tout acheteur qui souhaiterait l’exporter hors de l’UE après la vente.

03 octobre 2018 Artcurial Lyon - Michel Rambert 2 rue Saint Firmin, Lyon
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