André Jean Lebrun, « Premier sculpteur » du roi Stanislas Auguste

 

Par Camille Brunaux, diplômée de l’Ecole du Louvre (Master II recherche sur l’œuvre graphique d’André Lebrun sous la direction de Monsieur Guilhem Scherf, conservateur en chef au département des sculptures du Louvre). L’auteur continue ses recherches sur les dessins d’André Lebrun et serait reconnaissante à toute personne pouvant porter à sa connaissance des œuvres de sa main ou des informations concernant sa vie et ses activités.  Contacter camille.brunaux@gmail.com

André Jean Lebrun, né en 1737 à Paris et mort à Vilnius en 1811, fut « Premier sculpteur » du roi Stanislas Auguste Poniatowski. Avant d’être élevé à cette haute distinction en Pologne, il avait réalisé des œuvres très appréciées à Rome et reçu des commandes papales. Son talent de portraitiste était largement reconnu de son vivant et vanté par Natoire, alors directeur de l’Académie de France à Rome. Cependant, son œuvre sculpté est encore aujourd’hui assez méconnu en France, parce que l’artiste ne vécut dans son pays natal que pendant les premières années de sa formation, avant de poursuivre sa carrière dans quatre pays différents. Pour cette raison, il demeure largement ignoré du public français et il est peu étudié par les historiens de l’art en France. En Pologne, on doit à Mme Mikocka Rachubowa l’élaboration du catalogue raisonné de ses sculptures[1]. Elle en recense 246. Mais André Lebrun était également un dessinateur passionné, et l’on a répertorié à ce jour plus de 130 dessins de sa main. Souvent à l’encre brune et lavis brun (ill. 1), ou à la sanguine seule, ses feuilles sont aujourd’hui recherchées par les amateurs.

Ill.1 Minerve patronne des arts et des enseignements, dessin à la plume, encre brune et lavis brun, 70 x 52 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage, OR18724 @MuséedelErmitage

André Lebrun étudie la sculpture auprès de Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785). En 1756, il remporte le Grand Prix de Rome avec son bas-relief Melchisedech présentant à Abraham le pain et le vin qu’il bénit [2]. Il entre ensuite à l’École royale des élèves protégés pour une durée de trois ans avant de partir pour Rome en 1759. Pensionnaire à l’Académie de France jusqu’en décembre 1763, il a dépassé le temps autorisé de l’hébergement à l’Académie de France, prétextant la participation au concours pour le monument funéraire du pape Benoît XIV. Le tombeau du pontife, décédé cinq années plus tôt, devait prendre place à la basilique Saint-Pierre, mais Lebrun n’obtient aucune commande pour ce projet. C’est à Rome que Lebrun termine son apprentissage du métier de sculpteur. Cependant la Ville éternelle ne représente pas seulement pour lui un lieu d’études. C’est là qu’il commence sa carrière. Membre de l’Accademia di San Luca et directeur de la Scuola del Nudo, nouvelle institution créée par Benoît XIV, le jeune sculpteur est très bien intégré à la vie artistique romaine. Recevant de nombreuses commandes, il reste établi à Rome. En 1764, il signe un contrat pour réaliser une statue en marbre de Judith pour la chapelle de l’Immaculée Conception à San Carlo al Corso (ill. 2: Judith, Rome, 1764-1767, Rome, église San Carlo al Corso, photo d’appel). En novembre 1767, la statue est placée dans l’église, en pendant à une statue de David sculptée par Pietro Pacilli. Cette même année, il est sollicité pour exécuter le buste du cardinal Giuseppe Maria Ferroni pour son monument funéraire en l’église de Santa Cecilia in Trastevere. Le reste du monument, plaque commémorative, pyramide de marbre, draperies de stuc, est l’œuvre de Tommaso Righi.

C’est en 1767 que Lebrun reçoit l’invitation du roi Stanislas Auguste Poniatowski de séjourner à la cour de Pologne. Il s’y rend l’année suivante, qui est très productive pour l’artiste. Il exécute le portrait du pape régnant Clément XIII Rezzonico en marbre blanc[3], signé et daté. Très réaliste, ce buste est fort apprécié du pontife. Il en fait également une version de bronze (disparue) qui était exposée au Palais du Quirinal. A Varsovie, peu après l’arrivée de l’artiste, le souverain Stanislas Auguste, visiblement très satisfait, écrit à Mme Geoffrin, intellectuelle tenant un salon réunissant écrivains et artistes, qui lui avait recommandé le jeune sculpteur : « Je l’ai depuis huit jours ; c’est un garçon fort sage, fort modeste, extrêmement appliqué et qui, par les essais qu’il a déjà faits en terre, me promet beaucoup de satisfaction[4]. » À la cour du roi, Lebrun se trouve à la tête d’un atelier, nommé en polonais « sculptornia » où travaillent sous sa direction de nombreux praticiens. Il collabore notamment avec Giacomo Monaldi (1733-1798) sculpteur italien avec qui il avait peut-être fait le voyage depuis Rome. Celui-ci l’aide dans l’exécution de nombreuses sculptures. Ils travaillent ensemble dès 1769 pour la décoration de la salle de Marbre du palais royal, puis pour d’autres pièces du palais. L’Autrichien Franciszek Pinck participe également à la réalisation des commandes, en suivant les dessins de Lebrun. D’autres sculpteurs sont employés temporairement en renfort. Enfin, l’atelier comprend quelques tailleurs de pierre et deux formatori – mouleurs – italiens : Davino Cristofani et Giuseppe Pellegrini, qui exécutent des modèles aussi bien que leurs moulages.

Après quatre années passées à Varsovie, Lebrun revient à Rome en 1772 sur ordre du roi, qui l’avait chargé d’y copier des antiques et d’acheter des œuvres italiennes pour sa collection. Son second voyage en Italie est occupé à la fois par la satisfaction des exigences de Stanislas Auguste et par l’exécution de commandes pour des particuliers romains. Malgré son absence de quatre ans, le Français demeure toujours le bienvenu au sein des milieux artistiques romains. En 1773, âgé de trente-six ans, André Lebrun est admis à l’Académie des Arcades, la plus prestigieuse société littéraire romaine au XVIIIe siècle. Le cardinal Pierre de Bernis, ambassadeur de France à Rome, lui commande en 1773 un portrait sculpté[5], et en 1775, il réalise le portrait du nouveau pape, Pie VI Braschi[6]. Lors de ce séjour romain, le roi de Pologne paye à l’artiste des gages mensuels et rémunère chaque œuvre qu’il fait parvenir en Pologne. En 1776, il envoie une Minerve (ill. 3) destinée à la grande salle de bal du château royal et en 1778, son pendant, inspiré de l’Apollon du Belvédère. Les visages des deux statues sont les portraits de Catherine II et de Stanislas Auguste. Lebrun réalisa aussi une copie du Faune dansant[7], qui orne toujours la façade du palais d’été à Łazienki. Il a pour pendant une Bacchante, œuvre originale qui semble inspirée de la Daphnée du Bernin.

Ill.3 Minerve sous les traits de Catherine II, 1776, marbre, Varsovie, salle de bal du château royal

En 1779, Lebrun rentre en Pologne. Il est alors nommé officiellement Premier sculpteur de Sa Majesté Stanislas Auguste. Ce dernier fait appel à lui pour orner l’intérieur de son château. L’un des plus importants projets qu’il lui confie est la salle des batailles, décorée de vingt-quatre bustes immortalisant les visages des plus illustres Polonais. La série est exécutée entre 1781 et 1786 sur des dessins de Lebrun et réalisée avec son collaborateur Monaldi (ill. 4). L’année précédente, il avait réalisé un groupe de marbres ornant le dessus de la porte d’entrée de la salle de bal : un médaillon avec le portrait du roi supporté par les figures de la Paix et de la Justice. En 1786 il complète le décor de la salle des batailles – dont les murs sont couverts des toiles de Marcello Bacciarelli mettant en scène les grands épisodes de l’histoire de Pologne – avec les statues de la Renommée et de Chronos. Mais le grand œuvre de son deuxième séjour polonais est certainement la décoration de la résidence d’été du roi, le palais Łazienki, construite en 1689 et achetée par Stanislas Auguste en 1764, juste avant son élection. Il fait intervenir les architectes Domenico Merlini et Jan Christian Kamsetzer pour transformer l’ancien « pavillon des Bains » en une sorte de villa-musée où seront exposées ses collections de peintures et de sculptures. Le petit palais, construit sur une île, doit entièrement sa décoration extérieure à l’imagination du sculpteur français. Ce vaste ensemble décoratif l’occupe de 1784 à 1791. Les sujets retenus pour le décor sont essentiellement allégoriques : les quatre éléments, les quatre saisons, les quatre continents… Les sculptures qui ornent le parc sont également en grande majorité de la main de l’artiste.

Ill.4 Buste de Jana Zamojskiego, 1782, bronze, piédestal en marbre, 72 x 68 x 43 cm, Varsovie, Château royal, ZKW/3378 @châteauroyalVarsovie

L’atelier que dirigeait Lebrun devait constituer le noyau de la future académie des Beaux-Arts que le souverain polonais projetait de créer. Ce dernier ne peut cependant pas mener à bien son entreprise, faute de temps. La Pologne subit en effet d’importants troubles politiques qui se traduisent par une série de démembrements. La première partition a lieu en 1771, et la troisième, menée par Catherine II de Russie en 1795, mène à la liquidation de l’État. Le roi et sa cour quittent alors Varsovie pour s’exiler à Grodno, laissant derrière eux l’artiste. Stanislas Auguste n’a pas pour autant oublié son Premier sculpteur, à qui il conseille de se rendre à la cour de Russie où il pourrait trouver une place. Lebrun suit ce conseil et tente d’obtenir la place de sculpteur de cour pour le Tsar, à l’aide de la recommandation de Stanislas Auguste. Malheureusement, il ne l’obtient pas. Sa situation financière devient alors si difficile que son ancien protecteur doit lui envoyer de temps à autre des sommes d’argent, jusqu’à la mort de ce dernier en février 1798. Les dernières années de la vie du sculpteur sont très mal connues, faute de sources. On sait néanmoins qu’il exécute des portraits en buste d’aristocrates russes, comme celui du maréchal Suvorov en 1796 ou d’André Petrovich Shuvalov (ill. 5). En 1803 la famille Lebrun part s’établir à Vilnius, ville appartenant à l’empire russe depuis 1795, à l’issue des trois partages de la Pologne. Une université impériale vient d’y être créée, on lui donne la chaire de sculpture. Il garde ce poste jusqu’à sa mort le 30 septembre 1811.

Ill.5 Portrait d’André Petrovich Shuvalov, marbre, 58х65 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage n°Hck1420 @MuséedelErmitage

[1]   MIKOCKA-RACHUBOWA Katarzyna, André Le Brun : « pierwszy rzezbiarz » krola Stanislawa Augusta [André Le Brun : « Premier sculpteur » sous Stanislas Auguste], Instytut Sztuki PAN, Varsovie, 2010, 2 t.

[2]   Relief non conservé.

[3]   Aujourd’hui à la bibliothèque du couvent des Méchitaristes sur l’île Saint-Lazare de Venise.

[4]  (Lettre du 1er juin 1768, Ch. de Mouy, Correspondance inédite du roi Stanislas Auguste Poniatowski et de Mme Geoffrin (1764-1777), Paris, 1875, p.303, n° LXXXIII).

[5]   Le Diario ordinario du 16 octobre 1773 nous apprend que l’artiste venait de l’achever. Le buste de marbre a disparu mais Olivier Michel a proposé l’idée que le plâtre conservé dans la communauté de Saint-Louis-des-Français à Rome soit l’original.

[6]   Le marbre n’a pas été retrouvé, mais deux répliques en plâtre, du musée national et du château royal, sont déposés au palais de Łazienki à Varsovie.

[7]   Bronze antique trouvé à Pompéi, aujourd’hui conservé au musée Archéologique National de Naples. Lebrun a pu en voir une copie à Rome.

 

22 octobre 2021